Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/237

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expirant. Doña Teresa, accourue au bruit du coup d’arquebuse, avait vu cette horrible scène, et était tombée évanouie à côté de son père. Elle ne connaissait encore que la moitié de son malheur.

Don Garcia achevait la dernière bouteille de Montilla lorsque don Juan, pâle, couvert de sang, les yeux égarés, son pourpoint déchiré et son rabat sortant d’un demi-pied de ses limites ordinaires, entra précipitamment dans sa chambre et se jeta tout haletant sur un fauteuil sans pouvoir parler. L’autre comprit à l’instant que quelque accident grave venait d’arriver. Il laissa don Juan respirer péniblement deux ou trois fois, puis il lui demanda des détails ; en deux mots il fut au fait. Don Garcia, qui ne perdait pas facilement son flegme habituel, écouta sans sourciller le récit entrecoupé que lui fit son ami. Puis, remplissant un verre et le lui présentant : — Buvez, dit-il, vous en avez besoin. C’est une mauvaise affaire, ajouta-t-il, après avoir bu lui-même. Tuer un père est grave… Il y a bien des exemples pourtant, à commencer par le Cid. Le pire, c’est que vous n’avez pas cinq cents hommes tous habillés de blanc, tous vos cousins, pour vous défendre des archers de Salamanque et des parents du défunt… Occupons-nous d’abord du plus pressé… Il fit deux ou trois tours dans la chambre comme pour recueillir ses idées.

— Rester à Salamanque, reprit-il, après un semblable esclandre, ce serait folie. Ce n’est pas un hobereau que don Alonso de Ojeda, et d’ailleurs les domestiques ont dû vous reconnaître. Admettons pour un moment que vous n’ayez pas été reconnu ; vous vous êtes acquis maintenant à l’université une réputation si avantageuse, qu’on ne manquera pas de vous imputer un méfait anonyme. Tenez, croyez-moi, il faut partir, et le plus tôt, c’est le mieux. Vous êtes devenu ici trois fois plus savant qu’il ne sied à un gentilhomme de bonne maison. Laissez là