Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/239

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rendirent à Barcelone, où ils s’embarquèrent pour Civita-Vecchia. La fatigue, le mal de mer, la nouveauté des sites et la légèreté naturelle de don Juan, tout se réunissait pour qu’il oubliât vite les horribles scènes qu’il laissait derrière lui. Pendant quelques mois, les plaisirs que les deux amis trouvèrent en Italie leur firent négliger le but principal de leur voyage ; mais, les fonds commençant à leur manquer, ils se joignirent à un certain nombre de leurs compatriotes, braves comme eux et légers d’argent, et se mirent en route pour l’Allemagne.

Arrivés à Bruxelles, chacun s’enrôla dans la compagnie du capitaine qui lui plut. Les deux amis voulurent faire leurs premières armes dans celle du capitaine don Manuel Gomare, d’abord parce qu’il était Andalous, ensuite parce qu’il passait pour n’exiger de ses soldats que du courage et des armes bien polies et en bon état, fort accommodant d’ailleurs sur la discipline.

Charmé de leur bonne mine, celui-ci les traita bien et selon leurs goûts, c’est-à-dire qu’il les employa dans toutes les occasions périlleuses. La fortune leur fut favorable, et là où beaucoup de leurs camarades trouvèrent la mort, ils ne reçurent pas une blessure et se firent remarquer des généraux. Ils obtinrent chacun une enseigne le même jour. Dès ce moment, se croyant sûrs de l’estime et de l’amitié de leurs chefs, ils avouèrent leurs véritables noms et reprirent leur train de vie ordinaire, c’est-à-dire qu’ils passaient le jour à jouer ou à boire, et la nuit à donner des sérénades aux plus jolies femmes des villes où ils se trouvaient en garnison pendent l’hiver. Ils avaient reçu de leurs parents leur pardon, ce qui les toucha médiocrement, et des lettres de crédit sur des banquiers d’Anvers. Ils en firent bon usage. Jeunes, riches, braves et entreprenants, leurs conquêtes furent nombreuses et rapides. Je ne m’arrêterai pas à les raconter ; qu’il suffise au lecteur de savoir que, lorsqu’ils voyaient une jolie