Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/241

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Tenez, je vous fais mon héritier. Prenez cette bourse, elle contient tout ce que je possède ; il vaut mieux qu’elle soit à vous qu’à ces excommuniés. La seule chose que je vous demande, c’est de faire dire quelques messes pour le repos de mon âme.

Don Juan promit en lui serrant la main, tandis que don Garcia lui faisait observer tout bas quelle différence il y avait entre les opinions d’un homme faible quand il meurt et celles qu’il professe assis devant une table couverte de bouteilles. Quelques balles venant à siffler à leurs oreilles leur annoncèrent l’approche des Hollandais. Les soldats reprirent leurs rangs. Chacun dit adieu à la hâte au capitaine Gomare, et on ne s’occupa plus que de faire retraite en bon ordre. Cela était assez difficile avec un ennemi nombreux, un chemin défoncé par les pluies, et des soldats fatigués d’une longue marche. Pourtant les Hollandais ne purent les entamer, et abandonnèrent la poursuite à la nuit, sans avoir pris un drapeau ou fait un seul prisonnier qui ne fût blessé.

Le soir, les deux amis, assis dans une tente avec quelques officiers, devisaient de l’affaire à laquelle ils venaient d’assister. On blâma les dispositions du commandant du jour, et l’on trouva après coup tout ce qu’il aurait fallu faire. Puis on en vint à parler des morts et des blessés.

— Pour le capitaine Gomare, dit don Juan, je le regretterai longtemps. C’était un brave officier, bon camarade, un véritable père pour ses soldats.

— Oui, dit don Garcia ; mais je vous avouerai que jamais je n’ai été si surpris que lorsque je l’ai vu tant en peine pour n’avoir pas une robe noire à ses côtés. Cela ne prouve qu’une chose, c’est qu’il est plus facile d’être brave en paroles qu’en actions. Tel se moque d’un danger éloigné qui pâlit quand il s’approche. À propos, don Juan, puisque vous êtes son héritier, dites-nous ce qu’il y a dans la