Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/246

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Tous ceux qui étaient présents, et don Juan surtout, furent extrêmement surpris de l’entendre parler du ciel, car il ne s’en occupait guère, ou s’il en parlait, c’était pour s’en moquer. S’apercevant que plusieurs souriaient à ces paroles, ranimé par un sentiment de vanité, il s’écria :

— Que personne, au moins, n’aille s’aviser de croire que j’ai peur des Hollandais, de Dieu ou du diable, car nous aurions à la garde montante nos comptes à régler ensemble !

— Passe pour les Hollandais, mais pour Dieu et l’Autre, il est bien permis de les craindre, dit un vieux capitaine à moustaches grises, qui portait un chapelet suspendu à côté de son épée.

— Quel mal peuvent-ils me faire ? demanda-t-il ; le tonnerre ne porte pas aussi juste qu’une arquebuse protestante.

— Et votre âme ? dit le vieux capitaine en se signant à cet horrible blasphème.

— Ah ! pour mon âme… il faudrait, avant tout que je sois sûr d’en avoir une. Qui m’a jamais dit que j’eusse une âme ? Les prêtres. Or l’invention de l’âme leur rapporte de si beaux revenus, qu’il n’est pas douteux qu’ils n’en soient les auteurs, de même que les pâtissiers ont inventé les tartes pour les vendre.

— Don Garcia, vous finirez mal, dit le capitaine. Ces propos-là ne doivent pas se tenir à la tranchée.

— À la tranchée comme ailleurs, je dis ce que je pense. Mais je me tais, car voici mon camarade don Juan dont le chapeau va tomber, tant ses cheveux se dressent sur sa tête. Lui ne croit pas seulement à l’âme ; il croit encore aux âmes du Purgatoire.

— Je ne suis point un esprit fort, dit don Juan en riant, et j’envie parfois votre sublime indifférence pour les choses