Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/249

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session du majorat et des grands biens dont il venait d’hériter. Depuis longtemps il avait obtenu sa grâce pour la mort de don Alonzo de Ojeda, le père de doña Fausta, et il regardait cette affaire comme entièrement terminée. D’ailleurs, il avait envie de s’exercer sur un plus grand théâtre. Il pensait aux délices de Séville et aux nombreuses beautés qui n’attendaient, sans doute, que son arrivée pour se rendre à discrétion. Quittant donc la cuirasse, il partit pour l’Espagne. Il séjourna quelque temps à Madrid, se fit remarquer dans une course de taureaux par la richesse de son costume et son adresse à piquer ; il y fit quelques conquêtes, mais ne s’y arrêta pas longtemps. Arrivé à Séville, il éblouit petits et grands par son faste et sa munificence. Tous les jours il donnait des fêtes nouvelles où il invitait les plus belles dames de l’Andalousie. Tous les jours nouveaux plaisirs, nouvelles orgies dans son magnifique palais. Il était devenu le roi d’une foule de libertins qui, désordonnés et indisciplinables avec tout le monde, lui obéissaient avec cette docilité qui se trouve trop souvent dans les associations des méchants. Enfin il n’y avait pas de débauche dans laquelle il ne se plongeât, et comme un riche vicieux n’est pas seulement dangereux pour lui-même, son exemple pervertissait la jeunesse andalouse, qui l’élevait aux nues et le prenait pour modèle. Nul doute que, si la Providence eût souffert plus longtemps son libertinage, il n’eût fallu une pluie de feu pour faire justice des désordres et des crimes de Séville. Une maladie qui retint don Juan dans son lit pendant quelques jours ne lui inspira pas de retour sur lui-même ; au contraire il ne demandait à son médecin de lui rendre la santé qu’afin de courir à de nouveaux excès.

Pendant sa convalescence, il s’amusa à dresser une liste de toutes les femmes qu’il avait séduites et de tous les maris qu’il avait trompés. La liste était divisée méthodiquement en deux colonnes. Dans l’une étaient les noms