Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/250

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des femmes et leur signalement sommaire ; à côté, le nom de leurs maris et leur profession. Il eut beaucoup de peine à retrouver dans sa mémoire les noms de toutes ces malheureuses, et il est à croire que ce catalogue était loin d’être complet. Un jour, il le montra à un de ses amis qui était venu lui rendre visite ; et comme en Italie il avait eu les faveurs d’une femme qui osait se vanter d’avoir été la maîtresse d’un pape, la liste commençait par son nom, et celui du pape figurait dans la liste des maris. Venait ensuite un prince régnant, puis des ducs, des marquis, enfin jusqu’à des artisans.

— Vois, mon cher, dit-il à son ami ; vois, nul n’a pu m’échapper, depuis le pape jusqu’au cordonnier ; il n’y a pas une classe qui ne m’ait fourni sa quote-part.

Don Torribio, c’était le nom de cet ami, examina le catalogue, et le lui rendit en disant d’un ton de triomphe : — Il n’est pas complet !

— Comment ! pas complet ? Qui manque donc à ma liste de maris ?

Dieu, répondit don Torribio.

— Dieu ? c’est vrai, il n’y a pas de religieuse. Morbleu ! je te remercie de m’avoir averti. Eh bien ! je te jure ma foi de gentilhomme qu’avant qu’il soit un mois il sera sur ma liste, avant monseigneur le pape, et que je te ferai souper ici avec une religieuse. Dans quel couvent de Séville y a-t-il de jolies nonnes ?

Quelques jours après, don Juan était en campagne. Il se mit à fréquenter les églises des couvents de femmes, s’agenouillant fort près des grilles qui séparent les épouses du Seigneur du reste des fidèles. Là il jetait ses regards effrontés sur ces vierges timides, comme un loup entré dans une bergerie cherche la brebis la plus grasse pour l’immoler la première. Il eut bientôt remarqué, dans l’église de Notre-Dame du Rosaire, une jeune religieuse d’une beauté ravissante, que relevait encore un air de