Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/255

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t’ai retrouvée. Cesse de me parler des serments que tu as prononcés. Avant de t’engager au pied des autels, tu m’appartenais. Tu n’as pu disposer de ton cœur qui était à moi… Je viens réclamer un bien que je préfère à la vie. Je périrai ou tu me seras rendue. Demain j’irai te demander au parloir. Je n’ai pas osé m’y présenter avant de t’avoir prévenue. J’ai craint que ton trouble ne nous trahît. Arme-toi de courage. Dis-moi si la tourière peut être gagnée. » Deux gouttes d’eau adroitement jetées sur le papier figuraient des larmes répandues en écrivant.

Quelques heures après, le jardinier du couvent lui apporta une réponse et lui fit offre de ses services. La tourière était incorruptible ; la sœur Agathe consentait à descendre au parloir, mais à condition que ce serait pour dire et recevoir un adieu éternel.

La malheureuse Teresa parut au parloir plus morte que vive. Il fallut qu’elle tînt la grille à deux mains pour se soutenir. Don Juan, calme et impassible, savourait avec délices le trouble où il la jetait. D’abord, et pour donner le change à la tourière, il parla d’un air dégagé des amis que Teresa avait laissés à Salamanque, et qui l’avaient chargé de lui porter leurs compliments. Puis, profitant d’un moment où la tourière s’était éloignée, il dit très bas et très vite à Teresa :

— « Je suis résolu à tout tenter pour te tirer d’ici. S’il faut mettre le feu au couvent, je le brûlerai. Je ne veux rien entendre. Tu m’appartiens. Dans quelques jours tu seras à moi, ou je périrai ; mais bien d’autres périront avec moi. »

La tourière se rapprocha. Doña Teresa suffoquait et ne put articuler un mot. Don Juan cependant, d’un ton d’indifférence, parlait de confitures, des travaux d’aiguille qui occupaient les religieuses, promettait à la tourière de lui envoyer des chapelets bénits à Rome, et de donner au couvent une robe de brocart pour habiller la