Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/258

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saillir, et il sentit ses cheveux se hérisser sur sa tête. Cependant, rappelant son courage, il éteignit la dernière bougie, espérant que l’obscurité le délivrerait des images hideuses qui le persécutaient. L’obscurité augmenta encore sa terreur. Ses yeux se dirigeaient toujours vers le tableau qu’il ne pouvait voir ; mais il lui était tellement familier qu’il se peignait à son imagination aussi nettement que s’il eût été grand jour. Parfois même il lui semblait que les figures s’éclairaient et devenaient lumineuses, comme si le feu du purgatoire, que l’artiste avait peint, eût été une flamme réelle. Enfin son agitation fut si grande qu’il appela à grands cris ses domestiques pour faire enlever le tableau qui lui causait tant de frayeur. Eux entrés dans sa chambre, il eut honte de sa faiblesse. Il pensa que ses gens se moqueraient de lui s’ils venaient à savoir qu’il avait peur d’une peinture. Il se contenta de dire, du son de sa voix le plus naturel qu’il put prendre, que l’on rallumât les bougies et qu’on le laissât seul. Puis il se remit alors à lire ; mais ses yeux seuls parcouraient le livre, son esprit était au tableau. En proie à une agitation indicible, il passa ainsi une nuit sans sommeil.

Aussitôt que le jour parut il se leva à la hâte et sortit pour aller chasser. L’exercice et l’air frais du matin le calmèrent peu à peu, et les impressions excitées par la vue du tableau avaient disparu lorsqu’il rentra dans son château. Il se mit à table et but beaucoup. Déjà il était un peu étourdi lorsqu’il alla se coucher. Par son ordre un lit lui avait été préparé dans une autre chambre, et l’on pense bien qu’il n’eut garde d’y faire porter le tableau ; mais il en avait gardé le souvenir, et il fut assez puissant pour le tenir encore éveillé pendant une partie de la nuit.

Au reste, ces terreurs ne lui inspirèrent pas le repentir de sa vie passée. Il s’occupait toujours de l’enlèvement