Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/268

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fourchu du diable, et alors, peut-être, te sentiras-tu assez de cœur pour te battre avec moi. — En parlant ainsi, il le poussait rudement contre la muraille.

— Seigneur Pedro de Ojeda, s’écria don Juan, tuez-moi si vous le voulez, je ne me battrai pas ! et il croisa les bras, regardant fixement don Pedro d’un air calme quoique assez fier.

— Oui, je te tuerai, misérable ! mais avant je te traiterai comme un lâche que tu es.

Et il lui donna un soufflet, le premier que don Juan eut jamais reçu. Le visage de don Juan devint d’un rouge pourpre. La fierté et la fureur de sa jeunesse rentrèrent dans son âme. Sans dire un mot, il s’élança vers une des épées et s’en saisit. Don Pedro prit l’autre et se mit en garde. Tous les deux s’attaquèrent avec fureur et se fondirent l’un sur l’autre à la fois et avec la même impétuosité. L’épée de don Pedro se perdit dans la robe de laine de don Juan et glissa à côté du corps sans le blesser, tandis que celle de don Juan s’enfonça jusqu’à la garde dans la poitrine de son adversaire. Don Pedro expira sur-le-champ. Don Juan, voyant son ennemi étendu à ses pieds, demeura quelque temps immobile à le contempler d’un air stupide. Peu à peu, il revint à lui et reconnut la grandeur de son nouveau crime. Il se précipita sur le cadavre et essaya de le rappeler à la vie. Mais il avait vu trop de blessures pour douter un moment que celle-là ne fût mortelle. L’épée sanglante était à ses pieds et semblait s’offrir à lui pour qu’il se punît lui-même ; mais, écartant bien vite cette nouvelle tentation du démon, il courut chez le supérieur et se précipita tout effaré dans sa cellule. Là, prosterné à ses pieds, il lui raconta cette terrible scène en versant un torrent de larmes. D’abord, le supérieur ne voulut pas le croire et sa première idée fut que les grandes macérations que s’imposait le frère Ambroise lui avaient fait perdre la raison. Mais le sang qui couvrait la robe et les mains de don Juan ne lui