Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/275

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— Qui sait ?

— Cache-moi vite. Ils viennent.

— Attends que mon père soit revenu.

— Que j’attende ? malédiction ! Ils seront ici dans cinq minutes. Allons, cache-moi, ou je te tue.

Fortunato lui répondit avec le plus grand sang-froid :

— Ton fusil est déchargé, et il n’y a plus de cartouches dans ta carchera[1].

— J’ai mon stylet.

— Mais courras-tu aussi vite que moi ? — Il fit un saut, et se mit hors d’atteinte.

— Tu n’es pas le fils de Mateo Falcone ! Me laisseras-tu donc arrêter devant ta maison ?

L’enfant parut touché.

— Que me donneras-tu si je te cache ? dit-il en se rapprochant.

Le bandit fouilla dans une poche de cuir qui pendait à sa ceinture, et il en tira une pièce de cinq francs qu’il avait réservée sans doute pour acheter de la poudre. Fortunato sourit à la vue de la pièce d’argent ; il s’en saisit, et dit à Gianetto : Ne crains rien.

Aussitôt il fit un grand trou dans un tas de foin placé auprès de la maison. Gianetto s’y blottit, et l’enfant le recouvrit de manière à lui laisser un peu d’air pour respirer, sans qu’il fût possible cependant de soupçonner que ce foin cachât un homme. Il s’avisa, de plus, d’une finesse de sauvage assez ingénieuse. Il alla prendre une chatte et ses petits, et les établit sur le tas de foin pour faire croire qu’il n’avait pas été remué depuis peu. Ensuite, remarquant des traces de sang sur le sentier près de la maison, il les couvrit de poussière avec soin, et, cela fait, il se recoucha au soleil avec la plus grande tranquillité.

  1. Ceinture de cuir qui sert de giberne et de portefeuille.