Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/315

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core assez bien une garcette. Quant à votre drôle, là-bas, qui parle du Mama-Jumbo, dites-lui qu’il se tienne bien et qu’il ne fasse pas peur à la petite mère que voici, ou je lui ferai si bien ratisser l’échine, que son cuir, de noir, deviendra rouge comme un rosbif cru. »

À ces mots, le capitaine descendit dans sa chambre, fit venir Ayché et tâcha de la consoler : mais ni les caresses, ni les coups même, car on perd patience à la fin, ne purent rendre traitable la belle négresse ; des flots de larmes coulaient de ses yeux. Le capitaine remonta sur le pont, de mauvaise humeur, et querella l’officier de quart sur la manœuvre qu’il commandait dans le moment.

La nuit, lorsque presque tout l’équipage dormait d’un profond sommeil, les hommes de garde entendirent d’abord un chant grave, solennel, lugubre, qui partait de l’entre-pont, puis un cri de femme horriblement aigu. Aussitôt après, la grosse voix de Ledoux jurant et menaçant, et le bruit de son terrible fouet, retentirent dans tout le bâtiment. Un instant après, tout rentra dans le silence. Le lendemain, Tamango parut sur le pont la figure meurtrie, mais l’air aussi fier, aussi résolu qu’auparavant.

À peine Ayché l’eut-elle aperçu, que, quittant le gaillard d’arrière où elle était assise à côté du capitaine, elle courut avec rapidité vers Tamango, s’agenouilla devant lui, et lui dit avec un accent de désespoir concentré : « Pardonne-moi, Tamango, pardonne-moi ! » Tamango la regarda fixement pendant une minute ; puis, remarquant que l’interprète était éloigné : « Une lime ! » dit-il ; et il se coucha sur le tillac en tournant le dos à Ayché. Le capitaine la réprimanda vertement, lui donna même quelques soufflets, et lui défendit de parler à son ex-mari ; mais il était loin de soupçonner le sens des courtes paroles qu’ils avaient échangées, et il ne fit aucune question à ce sujet.

Cependant Tamango, renfermé avec les autres esclaves,