Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/316

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les exhortait jour et nuit à tenter un effort généreux pour recouvrer leur liberté. Il leur parlait du petit nombre des blancs, et leur faisait remarquer la négligence toujours croissante de leurs gardiens ; puis, sans s’expliquer nettement, il disait qu’il saurait les ramener dans leur pays, vantait son savoir dans les sciences occultes, dont les noirs sont fort entichés, et menaçait de la vengeance du diable ceux qui se refuseraient à l’aider dans son entreprise. Dans ses harangues, il ne se servait que du dialecte des Peules, qu’entendaient la plupart des esclaves, mais que l’interprète ne comprenait pas. La réputation de l’orateur, l’habitude qu’avaient les esclaves de le craindre et de lui obéir, vinrent merveilleusement au secours de son éloquence, et les noirs le pressèrent de fixer un jour pour leur délivrance, bien avant que lui-même se crût en état de l’effectuer. Il répondit vaguement aux conjurés que le temps n’était pas venu, et que le diable, qui lui apparaissait en songe, ne l’avait pas encore averti, mais qu’ils eussent à se tenir prêts au premier signal. Cependant il ne négligeait aucune occasion de faire des expériences sur la vigilance de ses gardiens. Une fois, un matelot, laissant son fusil appuyé contre les plats-bords, s’amusait à regarder une troupe de poissons volants qui suivaient le vaisseau ; Tamango prit le fusil et se mit à le manier, imitant avec des gestes grotesques les mouvements qu’il avait vu faire à des matelots qui faisaient l’exercice. On lui retira le fusil au bout d’un instant ; mais il avait appris qu’il pourrait toucher une arme sans éveiller immédiatement le soupçon ; et, quand le temps viendrait de s’en servir, bien hardi celui qui voudrait la lui arracher des mains.

Un jour, Ayché lui jeta un biscuit en lui faisant un signe que lui seul comprit. Le biscuit contenait une petite lime : c’était de cet instrument que dépendait la réussite du complot. D’abord Tamango se garda bien de montrer la