Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/319

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Cependant quelques matelots firent tête sur le gaillard d’arrière ; mais ils manquaient d’armes et de résolution. Ledoux était encore vivant et n’avait rien perdu de son courage, s’apercevant que Tamango était l’âme de la conjuration, il espéra que, s’il pouvait le tuer, il aurait bon marché de ses complices. Il s’élança donc à sa rencontre, le sabre à la main, en l’appelant à grands cris. Aussitôt Tamango se précipita sur lui. Il tenait un fusil par le bout du canon et s’en servait comme d’une massue. Les deux chefs se joignirent sur un des passavants, ce passage étroit qui communique du gaillard d’avant à l’arrière. Tamango frappa le premier. Par un léger mouvement de corps, le blanc évita le coup. La crosse, tombant avec force sur les planches, se brisa, et le contrecoup fut si violent, que le fusil échappa des mains de Tamango. Il était sans défense, et Ledoux, avec un sourire de joie diabolique, levait le bras et allait le percer ; mais Tamango était aussi agile que les panthères de son pays. Il s’élança dans les bras de son adversaire et lui saisit la main dont il tenait son sabre. L’un s’efforce de retenir son arme, l’autre de l’arracher. Dans cette lutte furieuse, ils tombent tous les deux ; mais l’Africain avait le dessous. Alors, sans se décourager, Tamango, étreignant son adversaire de toute sa force, le mordit à la gorge avec tant de violence, que le sang jaillit comme sous la dent d’un lion. Le sabre échappa de la main défaillante du capitaine. Tamango s’en saisit ; puis, se relevant, la bouche sanglante, et poussant un cri de triomphe, il perça de coups redoublés son ennemi déjà demi-mort.

La victoire n’était plus douteuse. Le peu de matelots qui restaient essayèrent d’implorer la pitié des révoltés ; mais tous, jusqu’à l’interprète, qui ne leur avait jamais fait de mal, furent impitoyablement massacrés. Le lieutenant mourut avec gloire. Il s’était retiré à l’arrière, auprès d’un de ces petits canons qui tournent sur un