Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/335

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belles fleurs et les plus rares qu’il put trouver à Brest, en fit un bouquet qu’il attacha avec un beau ruban rose, et, dans le nœud, arrangea très-proprement un rouleau de vingt-cinq napoléons ; c’était tout ce qu’il possédait pour le moment. Je me souviens que je l’accompagnai dans les coulisses pendant un entr’acte. Il fit à Gabrielle un compliment fort court sur la grâce qu’elle avait à porter son costume, lui offrit le bouquet et lui demanda la permission d’aller la voir chez elle. Tout cela fut dit en trois mots.

» Tant que Gabrielle ne vit que les fleurs et le beau jeune homme qui les lui présentait, elle lui souriait, accompagnant son sourire d’une révérence des plus gracieuses ; mais, quand elle eut le bouquet entre les mains et qu’elle sentit le poids de l’or, sa physionomie changea plus rapidement que la surface de la mer que soulève un ouragan des tropiques ; et certes elle ne fut guère moins méchante, car elle lança de toute sa force le bouquet et les napoléons à la tête de mon pauvre ami, qui en porta les marques sur la figure pendant plus de huit jours. La sonnette du régisseur se fit entendre, Gabrielle entra en scène et joua tout de travers.

» Roger, ayant ramassé son bouquet et son rouleau d’or d’un air bien confus, s’en alla au café offrir le bouquet (sans l’argent) à la demoiselle du comptoir, et essaya, en buvant du punch, d’oublier la cruelle. Il n’y réussit pas ; et, malgré le dépit qu’il éprouvait de ne pouvoir se montrer avec son œil poché, il devint amoureux fou de la colérique Gabrielle. Il lui écrivait vingt lettres par jour, et quelles lettres ! soumises, tendres, respectueuses, telles qu’on pourrait les adresser à une princesse. Les premières lui furent renvoyées sans être décachetées ; les autres n’obtinrent pas de réponse. Roger cependant conservait quelque espoir, quand nous lui montrâmes que la marchande d’oranges du théâtre enveloppait ses oranges avec