Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/361

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Saint-Clair était dans une position atroce. Il allait donner un démenti formel au narrateur ; mais la peur de compromettre la comtesse le retint. Il aurait voulu pouvoir dire quelque chose en sa faveur, mais sa langue était glacée. Ses lèvres tremblaient de fureur, et il cherchait en vain dans son esprit quelque moyen détourné d’engager une querelle.

— « Quoi ! » s’écria Jules d’un air de surprise, « madame de Coursy s’est donnée à Massigny ! Frailty, thy name is woman ! »

— « C’est une chose si peu importante que la réputation d’une femme ! » dit Saint-Clair d’un ton sec et méprisant. « Il est bien permis de la mettre en pièces pour faire un peu d’esprit, et… »

Comme il parlait, il se rappela avec horreur un certain vase étrusque qu’il avait vu cent fois sur la cheminée de la comtesse à Paris. Il savait que c’était un présent de Massigny à son retour d’Italie ; et, circonstance accablante ! — ce vase avait été apporté de Paris à la campagne, — et tous les soirs, en ôtant son bouquet, Mathilde le posait dans le vase étrusque.

La parole expira sur ses lèvres ; il ne vit plus qu’une chose, il ne pensa plus qu’à une chose : — le vase étrusque !

La belle preuve ! dira un critique : soupçonner sa maîtresse pour si peu de chose ! — Avez-vous été amoureux, monsieur le critique ?

Thémines était en trop belle humeur pour s’offenser du ton que Saint-Clair avait pris en lui parlant. Il répondit d’un air de légèreté et de bonhomie : — « Je ne fais que répéter ce que l’on a dit dans le monde. La chose passait pour certaine quand vous étiez en Allemagne. Au reste, je connais assez peu madame de Coursy ; il y a dix-huit mois que je ne suis allé chez elle. Il est possible qu’on se soit trompé et que Massigny m’ait fait un conte. — Pour en re-