Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/391

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l’épée horizontale, et monter la garde à la porte de madame de Pompadour, la maîtresse de Louis XVI, le beau plaisir ! C’est bien glorieux !

La comtesse. Que vous êtes ignorant, Édouard, ou combien vous êtes déjà perverti ! Si la révolution n’avait pas tout désorganisé, vous seriez l’un des gentilshommes les plus à la mode de ce temps. Vous feriez l’ornement de la cour ; vous seriez marquis…

Édouard. Oh ! pour mon marquisat, cousine, ne m’en parlez pas. Au régiment, quand ils veulent me faire enrager, ils m’appellent monsieur le marquis. C’est si ridicule d’être marquis ! Le marquis de Mascarille ! Saute, marquis ! Parbleu ! j’ai reçu un bon coup d’épée de Simoneau, un lieutenant du dixième, et je lui en ai donné un tout aussi bon, parce qu’il m’avait appelé marquis. D’abord, cousine, comme je ne puis pas vous donner des coups d’épée si vous m’appelez marquis, je vous embrasse.

La comtesse. Quel corrupteur que ce Bonaparte ! Un jeune homme d’une si noble famille devenir le séide d’un Corse ! — Ainsi vous êtes enthousiaste de votre empereur ? C’est votre idole, votre dieu ; il est tout pour vous ; vous l’adorez.

Édouard. Ma foi, si je l’adore, je ne l’adore guère : mon colonel lui a demandé la croix pour moi, il a répondu, en me toisant comme un cheval de remonte : — Il est trop jeune. — Il n’est pas tendre, allez, le bourgeois.

La comtesse. Parce qu’il était trop jeune !… Quelle odieuse injustice !

Édouard. Pour cela vous avez raison. À la dernière affaire, nous avons chargé avec les lanciers de la garde ; ces messieurs de la garde sont les Benjamins de l’empereur : ils ont eu une trentaine d’hommes hors de combat ; nous, au moins autant. Le général qui nous commandait, pour faire sa cour au patron, lui dit : « Vos lanciers