Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/413

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Le baron de Machicoulis. De la police ? diable ! non.

La comtesse. J’entends un signe caché… Par exemple, chacun de nous, chacun de vous, messieurs, porterait un poignard d’une certaine forme…

Édouard. Ah oui ! un poignard ! d’abord il n’y a pas de conspiration sans poignards. Le poignard de la vengeance… le glaive mystérieux… Avez-vous vu le mélodrame des Francs Juges ?

Le comte de Fierdonjon. Oui… un poignard ; je n’y vois pas d’inconvénients… et puis cela peut être utile.

Bertrand. C’est une bonne arme, tout de même, sans que ça paraisse. Faut donner le coup de haut en bas. (Faisant le geste de frapper.) Pardon, monsieur, comme cela… afin que le sang ne se répande pas, et vous étouffe tout de suite.

Le baron de Machicoulis. Quelle horreur ! nous ne voulons assassiner personne, nous n’avons pas besoin de vos leçons.

Bertrand. Alors, pourquoi donc… ?

Le chevalier de Thimbray. C’est une marque de distinction ; mais des gentilshommes français ne se servent point de ces armes-là.

Le comte. Il y a une ordonnance de police qui les défend… Il serait dangereux…

Bertrand. Pourtant Lescure, Charette, La Rochejacquelein, tous ces messieurs en avaient dans le temps… et celui qui leur aurait mis la main sur le collet aurait vu s’ils savaient en jouer.

La comtesse, à part. Les propos de cet homme font frémir. (Haut.) Il faudrait que le manche du poignard fût blanc… c’est notre couleur… en ivoire ou en nacre, avec des enjolivements d’argent. J’en dessinerai un modèle. Et sur la lame il faudrait graver le mot fidélité en latin. Cela serait de bon goût, n’est-ce pas ?