Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/425

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heures s’écoulèrent sans le moindre entr’acte, et je n’étais pas encore fatigué. Aucune tragédie au monde ne m’avait intéressé à ce point. Pendant mon séjour en Espagne, je n’ai pas manqué un seul combat, et, je l’avoue en rougissant, je préfère les combats à mort à ceux où l’on se contente de harceler des taureaux qui portent des boules à l’extrémité de leurs cornes. Il y a la même différence qu’entre les combats à outrance et les tournois à lances mornées. Pourtant les deux espèces de courses se ressemblent beaucoup ; seulement dans la seconde le danger pour les hommes est presque nul.

La veille d’une course est déjà une fête. Pour éviter les accidents, on ne conduit les taureaux dans l’écurie du cirque (encierro) que la nuit ; et, la veille du jour fixé pour le combat, ils paissent dans un pâturage à peu de distance de Madrid (el arroyo). C’est un but de promenade que d’aller voir ces taureaux qui viennent souvent de très-loin. Un grand nombre de voitures, de cavaliers et de piétons se rendent à l’arroyo. Beaucoup de jeunes gens portent dans cette occasion l’élégant costume de majo andalous[1], et déploient une magnificence et un luxe que ne permet point la simplicité de nos habillements ordinaires. Au reste, cette promenade n’est point sans danger : les taureaux sont en liberté, leurs conducteurs ne s’en font pas facilement obéir, c’est l’affaire des curieux d’éviter les coups de corne.

Il y a des cirques (plazas) dans presque toutes les grandes villes d’Espagne. Ces édifices sont très-simplement, pour ne pas dire très-grossièrement construits. Ce ne sont en général que de grandes baraques en planches, et l’on cite comme une merveille l’amphithéâtre de Ronda, parce qu’il est entièrement bâti en pierre. C’est le plus beau de l’Espagne, comme le château de Thunderten-Tronkh était

  1. Fashionable des basses classes.