Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/441

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que chaque coup de corne relève le bas du manteau. Telle est la confiance que Montès inspire, que pour les spectateurs l’idée de danger a disparu ; ils n’ont plus d’autre sentiment que l’admiration.

Montès passe pour avoir des opinions peu favorables à l’ordre de choses actuel. On dit qu’il a été volontaire royaliste, et qu’il est écrevisse, cangrejo, c’est-à-dire modéré. Si les bons patriotes s’en affligent, ils ne peuvent se soustraire à l’enthousiasme général. J’ai vu des descalzos (sans-culottes) lui jeter leurs chapeaux avec transport et le supplier de les mettre un instant sur sa tête : voilà les mœurs du seizième siècle. — Brantôme dit quelque part : « J’ai connu force gentilshommes qui, premier que porter leurs bas de soie, prioient leurs dames et maîtresses de les essayer et porter devant eux quelque huit ou dix jours, du plus que du moins ; et puis les portoient en très-grande vénération et contentement d’esprit et de corps. »

Montés a la tournure d’un homme comme il faut. Il vit noblement, et se consacre à sa famille, dont il a par son talent assuré l’avenir. Ses manières aristocratiques déplaisent à quelques toréadors qui le jalousent. Je me souviens qu’il refusa de dîner avec nous lorsque nous engageâmes Sevilla. À cette occasion, Sevilla nous donna son opinion sur le compte de Montès avec sa franchise ordinaire. — « Montes no fue realista ; es buen companero, luciente matador, atiende a los picadores, pero es un p… » Cela veut dire qu’il porte un frac hors du cirque, qu’il ne va pas au cabaret, et qu’il a de trop bonnes façons.

Sevilla est le Marius de la tauromachie, Montès en est le César.