Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/449

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mais trop longuement, que la miséricorde de Dieu était infinie, et qu’un repentir véritable pouvait désarmer sa juste colère.

Le condamné se leva, regarda le prêtre d’un air un peu farouche et lui dit : « Mon père, il suffisait de me dire que je vais à la gloire ; marchons. »

Le confesseur rentra dans la prison fort satisfait de son discours. Deux franciscains prirent sa place auprès du condamné, et ne devaient l’abandonner qu’au dernier moment.

D’abord on l’étendit sur une natte que le bourreau tira à lui quelque peu, mais sans violence, et comme d’un accord tacite entre le patient et l’exécuteur. C’est une pure cérémonie, afin de paraître exécuter à la lettre la sentence qui porte : « Pendu après avoir été traîné sur la claie. »

Cela fait, le malheureux fut guindé sur un âne que le bourreau conduisait par le licou. À ses côtés marchaient les deux franciscains, précédés de deux longues files de moines de cet ordre et de laïques faisant partie de la confrérie des Desamparados. Les bannières, les croix n’étaient pas oubliées. Derrière l’âne venaient un notaire et deux alguazils en habit noir à la française, culottes et bas de soie, l’épée au côté, et montés sur de mauvais bidets très-mal harnachés. Un piquet de cavalerie fermait la marche. Pendant que la procession s’avançait fort lentement, les moines chantaient des litanies d’une voix sourde, et des hommes en manteau circulaient autour du cortège, tendant des plats d’argent aux spectateurs, et demandant une aumône pour le pauvre malheureux (por el pobre). Cet argent sert à dire des messes pour le repos de son âme ; et, pour un bon catholique qu’on va pendre, ce doit être une consolation de voir les plats s’emplir assez rapidement de gros sous. Tout le monde donne. Impie