Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/456

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La conversation de cet homme m’amusait extrêmement ; de son côté, les cigares que je lui donnais, et le déjeuner qu’il avait partagé avec moi, me l’avaient tellement attaché, qu’il voulait me suivre jusqu’à Baylen. « La route n’est pas sûre, me disait-il ; je trouverai un fusil à Jaen chez un de mes amis ; et quand bien même nous rencontrerions une demi-douzaine de brigands, ils ne vous prendraient pas un mouchoir. » — « Mais, lui dis-je, si vous ne rentrez pas au presidio, vous risquez d’avoir une augmentation de temps, d’une année peut-être ? » — « Bah ! qu’importe ? Et puis vous me donnerez un certificat attestant que je vous ai accompagné. D’ailleurs je ne serais pas tranquille si je vous laissais aller tout seul par celle route-là… »

J’aurais consenti qu’il m’accompagnât s’il ne s’était pas brouillé avec mon guide. Voici à quelle occasion. Après avoir suivi, pendant près de huit lieues d’Espagne, nos chevaux, qui allaient au trot toutes les fois que le chemin le permettait, il s’avisa de dire qu’il les suivrait encore quand même ils prendraient le galop. Mon guide se moqua de lui. Nos chevaux n’étaient pas tout à fait des rosses ; nous avions un quart de lieue de plaine devant nous, et le galérien portait son chien sur son dos. Il fut mis au défi. Nous partîmes, mais ce diable d’homme avait véritablement des jambes de miquelet, et nos chevaux ne purent le dépasser. L’amour-propre de leur maître ne put jamais pardonner au presidiario l’affront qu’il lui avait fait. Il cessa de lui parler ; et arrivés que nous fûmes à Campillo de Arenas, il fit si bien, que le galérien, avec la discrétion qui caractérise l’Espagnol, comprit que sa présence était importune, et se retira.