Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/46

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intrigues de Ghilfuccio. Après la chute de l’empereur, en 1814, le protégé du général fut dénoncé comme bonapartiste, et remplacé par Barricini. À son tour, ce dernier fut destitué dans les cent-jours ; mais, après cette tempête, il reprit en grande pompe possession du cachet de la mairie et des registres de l’état civil.

De ce moment son étoile devint plus brillante que jamais. Le colonel della Rebbia, mis en demi-solde et retiré à Pietranera, eut à soutenir contre lui une guerre sourde de chicanes sans cesse renouvelées : tantôt il était assigné en réparation de dommages commis par son cheval dans les clôtures de M. le maire ; tantôt celui-ci, sous prétexte de restaurer le pavé de l’église, faisait enlever une dalle brisée qui portait les armes des della Rebbia, et qui couvrait le tombeau d’un membre de cette famille. Si les chèvres mangeaient les jeunes plants du colonel, les propriétaires de ces animaux trouvaient protection auprès du maire ; successivement, l’épicier qui tenait le bureau de poste de Pietranera, et le garde champêtre, vieux soldat mutilé, tous les deux clients des della Rebbia, furent destitués et remplacés par des créatures des Barricini.

La femme du colonel mourut exprimant le désir d’être enterrée au milieu d’un petit bois où elle aimait à se promener ; aussitôt le maire déclara qu’elle serait inhumée dans le cimetière de la commune, attendu qu’il n’avait pas reçu d’autorisation pour permettre une sépulture isolée. Le colonel furieux déclara qu’en attendant cette autorisation, sa femme serait enterrée au lieu qu’elle avait choisi, et il y fit creuser une fosse. De son côté, le maire en fit faire une dans le cimetière, et manda la gendarmerie, afin, disait-il, que force restât à la loi. Le jour de l’enterrement, les deux partis se trouvèrent en présence, et l’on put craindre un moment qu’un combat ne s’engageât pour la possession des restes de madame della Rebbia. Une quarantaine de paysans bien armés, amenés par les