Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/87

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Un éclair de joie brilla sur le front de sa sœur.

— Oui, poursuivit Orso ; ces misérables ont de l’honneur à leur manière. C’est un préjugé cruel et non une basse cupidité qui les a jetés dans la vie qu’ils mènent.

Il y eut un moment de silence.

— Mon frère, dit Colomba en lui versant du café, vous savez peut-être que Charles-Baptiste Pietri est mort la nuit passée ? Oui, il est mort de la fièvre des marais.

— Qui est-ce Pietri ?

— C’est un homme de ce bourg, mari de Madeleine, qui a reçu le portefeuille de notre père mourant. Sa veuve est venue me prier de paraître à sa veillée et d’y chanter quelque chose. Il convient que vous veniez aussi. Ce sont nos voisins, et c’est une politesse dont on ne peut se dispenser dans un petit endroit comme le nôtre.

— Au diable ta veillée, Colomba ! Je n’aime point à voir ma sœur se donner ainsi en spectacle au public.

— Orso, répondit Colomba, chacun honore ses morts à sa manière. La ballata nous vient de nos aïeux, et nous devons la respecter comme un usage antique. Madeleine n’a pas le don, et la vieille Fiordispina, qui est la meilleure voceratrice du pays, est malade. Il faut bien quelqu’un pour la ballata.

— Crois-tu que Charles-Baptiste ne trouvera pas son chemin dans l’autre monde si l’on ne chante de mauvais vers sur sa bière ? Va à la veillée si tu veux, Colomba ; j’irai avec toi, si tu crois que je le doive, mais n’improvise pas ; cela est inconvenant à ton âge, et… je t’en prie, ma sœur.

— Mon frère, j’ai promis. C’est la coutume ici, vous le savez, et, je vous le répète, il n’y a que moi pour improviser.

— Sotte coutume !

— Je souffre beaucoup de chanter ainsi. Cela me rappelle tous nos malheurs. Demain j’en serai malade ; mais