Page:Mérimée - Colomba et autres contes et nouvelles.djvu/95

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ancien meunier à nous. C’est un méchant et un menteur, indigne qu’on le croie.

— Vous allez voir, continua le préfet, l’intérêt qu’il avait dans l’affaire. Le meunier dont parle mademoiselle votre sœur, il se nommait, je crois, Théodore, tenait à loyer du colonel un moulin sur le cours d’eau dont monsieur Barricini contestait la possession à monsieur votre père. Le colonel, généreux à son habitude, ne tirait presque aucun profit de son moulin. Or, Tomaso a cru que si monsieur Barricini obtenait le cours d’eau, il aurait un loyer considérable à lui payer, car on sait que monsieur Barricini aime assez l’argent. Bref, pour obliger son frère, Tomaso a contrefait la lettre du bandit, et voilà toute l’histoire. Vous savez que les liens de famille sont si puissants en Corse, qu’ils entraînent quelquefois au crime… Veuillez prendre connaissance de cette lettre que m’écrit le procureur général, elle vous confirmera ce que je viens de vous dire.

Orso parcourut la lettre qui relatait en détail les aveux de Tomaso, et Colomba lisait en même temps par-dessus l’épaule de son frère.

Lorsqu’elle eut fini, elle s’écria : Orlanduccio Barricini est allé à Bastia il y a un mois, lorsqu’on a su que mon frère allait revenir. Il aura vu Tomaso et lui aura acheté ce mensonge.

— Mademoiselle, dit le préfet avec impatience, vous expliquez tout par des suppositions odieuses ; est-ce le moyen de découvrir la vérité ? Vous, monsieur, vous êtes de sang-froid ; dites-moi, que pensez-vous maintenant ? Croyez-vous, comme mademoiselle, qu’un homme qui n’a à redouter qu’une condamnation assez légère se charge de gaieté de cœur d’un crime de faux pour obliger quelqu’un qu’il ne connaît pas ?

Orso relut la lettre du procureur général, pesant chaque mot avec une attention extraordinaire, car, depuis qu’il avait