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ERIVAN ET L’ARARAT, ETC.

immédiatement fait surgir une oasis de villages étroitement groupés.

La distance entre le relais de Nourachen-Çyphla et Tatchark n’est que de trois verstes en été, car alors on peut franchir à gué l’Arpa-tchaï ; pendant la saison des pluies il faut aller chercher un gué praticable beaucoup plus haut dans la vallée, jusqu’à Tamzalü.

À Tatchark, arrêt forcé de trois heures ; M. Nathanaël veut utiliser ce temps pour aller chercher à une demi-heure de là, au petit village de Çyagout l’extrait de baptême d’un Lazariste originaire de cet endroit. Nous l’y accompagnons. Çyagout est un village chaldéen catholique, très pauvre, perdu dans un milieu tatar. Le village catholique le plus rapproché est en Perse, à plus de 8 jours de voyage. Le curé n’a plus vu de prêtre depuis deux ans ; aussi nous reçoit-il avec bonheur dans sa misérable chaumière. À peine y étions-nous depuis vingt minutes que voici arriver « par hasard » le chef de police. Il ne nous fit aucune question ; mais l’air servilement effrayé des pauvres habitants montrait évidemment que ce fonctionnaire venait espionner ; et je crains fort qu’il n’ait fait payer cher au curé notre visite, d’ailleurs parfaitement inoffensive et exempte de toute conspiration contre le gouvernement de sa « Sainte Majesté »[1].

Le désert recommence à peu de distance de Tatchark ; l’Ararat qui domine toujours le paysage s’éloigne peu à peu.

Tout le terrain est profondément bouleversé par l’action volcanique ; un piton rocheux, isolé dans une direction sud-est, attire notre attention ; il doit dominer Nakhitchévan.

  1. Mes craintes n’étaient que trop justifiées. Au printemps 1891 je recevais une lettre de Perse m’annonçant l’expulsion du curé. Le tout-puissant Empereur de Russie ne peut laisser vivre en paix quelques pauvres Chaldéens ! Il leur enlève d’abord leur pasteur : après quelque temps il les sommera de choisir entre l’apostasie ou une persécution sans merci ! Les Russes avec une hypocrisie éhontée, justifient leurs persécutions en accusant les Catholiques d’être fauteurs de troubles ! Je me demande quel trouble peut susciter ce pauvre noyau de quelques centaines de Chaldéens ignorants et misérables, vivant sans cesse dans la crainte de leurs voisins tatars aussi bien que dans celle du gouvernement !