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CHAPITRE XII

Heureusement lui et le Consul anglais se réunissent pour nous donner leur parole d’honneur que, dans le cas où le Vali viendrait soit à violer le domicile des Pères, soit à nous arrêter, ils interviendraient tous deux, même sans ordres.

Nous pouvons donc nous croire à l’abri d’un danger sérieux, mais Dieu sait toutes les misères et toutes les chicanes que nous aurons à supporter !

Le soir nous dînons chez M. Koloubakine. Je ne saurais dire quel effet réconfortant firent sur nous quelques airs de piano joués par Mme Koloubakine ; c’était une soirée d’Europe dans ce coin perdu du monde !

Ce piano a toute une épopée. Le Consul jouit de la franchise douanière étant un Consul politique ; quand arriva le piano, fortement arrimé dans une solide caisse, les Turcs prirent le contenu de celle-ci pour un canon ; une autre caisse, remplie de tableaux, contenait les boulets ! Il n’y avait pas à hésiter — pour sauver l’Empire, on emmène de force ces objets à la douane. Celle-ci n’ose ouvrir les caisses, mais refuse de les livrer. Après plusieurs sommations inutiles, le Consul met tout son monde sur pied et, avec ses kawas, se rend à la douane ; une foule de badauds arméniens le suit ; il fait une sommation, à laquelle on répond par un refus. Alors, tirant son revolver, il met en joue le malheureux chef de douane tout épouvanté, et lui déclare que, si un de ses employés a le malheur de porter la main sur ses caisses, il lui brûlera la cervelle à lui, chef de douane ; en même temps il fait un signe, et tous les badauds, enchantés de l’affaire, s’attellent aux caisses et les traînent au consulat. Changeant alors d’argument, le Consul force le chef de douane à le suivre, fait déballer devant lui le fameux canon, puis, appelant sa femme : « Vous avez vu le canon, dit-il à l’employé ; maintenant voici l’artilleur ! » et séance tenante l’« artilleur » se mit à jouer l’hymne national russe !


10 Octobre.

Craignant une visite domiciliaire, j’ai remis hier au Consul de Russie mon journal et quelques papiers.