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DE VAN À AGANTZ

chef de brigands. Le brigand d’ailleurs, c’est dans ces pays la véritable personnification de l’homme. D’un côté vous avez le peuple, misérable et opprimé ; de l’autre le fonctionnaire, pillard et éhonté. Le brigand, c’est le justicier. Au pauvre diable il empruntera aujourd’hui un cheval pour fuir, demain un mouton pour vivre ; mais gare au fonctionnaire ! Il lui fera rendre gorge de la belle façon.

C’est, je le veux bien, une justice quelque peu arbitraire, mais c’est du moins une révolte contre un mauvais gouvernement, une preuve de « smartness » pour parler américain, et voilà pourquoi le brigand est un être supérieur. Le plus à plaindre c’est le marchand dont les caravanes sont souvent d’aussi bonne prise que les coffres des employés.

Quand le pillage d’une caravane donne bien, les brigands se livrent souvent aux plus curieuses extravagances de dépenses et d’orgies. Une fois la bande de Guégou jeta toute une cargaison de sucre dans le bassin d’une source pour se payer le luxe de faire boire à ses chevaux de l’eau sucrée !

Guégou était brigand, mais il avait conscience de remplir une mission honnête ; aussi quel ne fut pas son étonnement quand un jour, mis en rapport avec les Lazaristes de Khosrâva, il les entendit condamner sa conduite ! « Mais mon Père, moi ne jamais faire mal ; ne pas tuer hommes (chrétiens) ; tuer seulement chiens (musulmans). » Le raisonnement était profond, mais il n’eut pas le don de convaincre les missionnaires : ceux-ci insistent ; et comme Guégou était au fond un bon chrétien, il fait de solennelles promesses et se retire du métier. Il avait au demeurant bien droit au repos, car il a trois balles dans le corps et il ne compte plus celles qu’il a extirpées !

Pendant ses voyages il a appris beaucoup ; il ne serait, sans doute, reçu académicien dans aucun pays ; mais il parle russe, arménien, turc, persan, chaldéen, kurde et français. C’est donc un savant. C’est surtout un philosophe, et ses aperçus sous leur forme naïve sont parfois bien profonds.