Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/160

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mon aise, et j’allai dormir. Mais le rêve, qui est une lézarde de l’esprit, laissa de nouveau pénétrer l’insecte et, pendant toute la nuit, je continuai à chercher la clef du mystère.

Le jour se leva avec la pluie, et je transférai mon départ. Mais le lendemain le ciel était pur, et je n’en restai pas moins, de même que le troisième et le quatrième jour, et jusqu’à la fin de la semaine ! Quelles belles matinées, fraîches et tentatrices. Là-bas, ma famille, ma fiancée et le Parlement m’attendaient ; et je faisais le sourd, soupirant aux pieds de ma Vénus boiteuse. Soupirant est peut-être exagéré : je n’étais point épris ; j’éprouvais auprès d’elle une certaine satisfaction physique et morale. Elle me plaisait : je l’aimais bien. Aux pieds de cette créature si simple, fille bâtarde et boiteuse, faite d’amour et de mépris, je me sentais à mon aise, et je crois qu’elle éprouvait une satisfaction plus grande encore près de moi. Cela se passait à la Tijuca : une véritable églogue. Dona Eusebia nous surveillait, si peu : juste assez pour sauvegarder les convenances. Et sa fille, dans cette première explosion de la nature, me livrait son âme en fleur.