Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/161

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— Vous allez partir demain ? me demanda-t-elle, le samedi.

— C’est tout au moins mon intention.

— Ne partez pas.

J’obéis, et j’ajoutai ainsi un verset nouveau à l’Évangile : « Bienheureux ceux qui savent rester, car ils auront le premier baiser des jeunes filles. » Ce fut, en effet, le dimanche que je reçus le premier baiser d’Eugenia, celui qu’aucun homme ne put recevoir d’elle désormais. Il ne fut point volé, ni pris de force, il fut candidement octroyé, comme une dette payée par un débiteur honnête. Pauvre Eugenia, si tu avais pu savoir quelles pensées me passaient par la tête en ce moment. Toute tremblante d’émotion, les mains sur mes épaules, tu contemplais en moi l’époux bienvenu, tandis que je revoyais en pensée Villaça et le buisson de 1814, en me disant que tu ne pouvais mentir à ton sang et à ton origine…

Dona Eusebia entra inopinément, mais pas assez vite pour nous surprendre. J’allai à la fenêtre ; Eugenia s’assit et refit ses nattes. Quelle gracieuse dissimulation ! Quel art infiniment délicat ! quelle profonde tartuferie !