Page:Machado de Assis - Mémoires posthumes de Bras Cubas.djvu/78

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Je veux écrire son nom tout au long sur cette page ; Ludgero Barata[1], — nom funeste qui servait aux élèves d’éternel motif de plaisanteries. Un d’entre nous, Quincas Borba, se montrait vraiment cruel envers le pauvre homme. Deux ou trois fois par semaine, il lui glissait dans la poche de son large pantalon un cafard qu’il tuait à cette intention. Si le maître mettait la main dessus aux heures de classe, il faisait un bond, et promenait sur nous ses regards irrités. Il nous disait alors les pires injures. Il nous traitait de sauvages, de paysans du Danube, de gamins des rues. Les uns tremblaient, les autres protestaient. Quincas Borba demeurait impassible, les yeux en l’air.

Quel être extraordinaire, ce Quincas !…

Jamais, dans mon enfance, ni du reste pendant toute ma vie, je n’ai rencontré un enfant plus spirituel, plus inventif, plus endiablé. C’était la perle, je ne dirai pas seulement de l’école, mais de la ville tout entière. Sa mère, veuve et possédant quelque bien, adorait son fils et le gâtait, le bichonnait, le faisait accompagner d’un

  1. Barata en portugais signifie « cancrelat ».