Page:Madame de Mornay - Memoires - tome 1.djvu/84

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au dit lieu du Bouschet, les suisses de la Royne Elisabeth[1] vinrent fourrager tout le village pour trouver quelque pauvre huguenot ; mais Dieu voulut qu’ilz n’entrèrent en ceste maison où j’estoy à cause qu’il y avoit sauvegarde. Ces suisses me servirent d’excuse pour ne sortir du logis tandis que je fus là, et n’estre pressée d’aller à la messe, encores qu’ilz fissent leur procession générale. Le pauvre vigneron regrettoit fort des maisons de gentilzhommes ses voisins qui avoient esté tuez et massacrés, recongnoissant qu’au païs il n’y avoit point plus grans aumosniers, ny gens de bien qu’eux. Il me permit tousjours de dire la bénédiction et l’action de grâces en françois, et me pensoit estre servante de madame la Présidente Tambonneau, comme le dit Minier luy avoit dit. Au bout du temps, j’avois envie de gaigner la Brye et aviser à ce que je pourrois devenir ; j’empruntai du vigneron ung asne et le priay de me venir conduyre, ce qu’il fit et passâsmes la rivière de Seine entre Corbeil et Melung, en un lieu qui s’appelle St Port, et m’en vins à Esprunes, maison appartenant à feu ma grand’mère. Arrivée que je feus là, les servantes du logis me sautoient au cou d’aise, me disant : « Madamoyselle, nous pensions que vous feussiez morte ; » ce pauvre vigneron demeura fort estonné, me demandant sy j’estois damoyselle, et enfin partant d’avec moy m’offrit sa maison et qu’il me cacheroit et empescheroit que je n’allasse à la messe, s’excusant à moy de ce qu’il ne m’avoit fait coucher au grand lit ; ainsy il s’en re-

  1. Isabelle d’Autriche, femme de Charles IX. Les deux noms d’Isabelle et d’Élisabeth étaient souvent confondus à cette époque.