Page:Madame de Mornay - Memoires - tome 1.djvu/94

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pluyes,) et l’emporte dedans une plouse hors du chemin, et ne le peut retenir quelques saccades de bride qu’il luy donnast. Au bout de ceste plouse, il trouve un précipice, d’où le cheval se jette à bas, rompant selle, bride etc., puis le porte dans des saux le long du ruisseau, où il luy pensa plusieurs fois rompre les reins. Enfin se prend à une branche et le laisse passer dessoubs, laquelle lui faillant, tomba sur les reins et en fust assez longtemps mal, encores qu’à la chaude il n’en sentist presques rien. Le cheval se sentant délivré de luy s’arresta court, et eust moyen de le reprendre, en se résolvant touteffois à la mort, car il ne voyoit aucune yssue à cause du susdit ruisseau assez large, ny autre apparence que d’estre attrapé là par ceux qui le poursuivoient de sy près. En ceste extrémité, il prie Dieu, puis se remet à renouer son harnois, et enfin mène son cheval en lieu facile pour reprendre son chemin, et voyant son chapeau en ce champ qui luy estoit tombé descend jour le reprendre, parce qu’il ne voyoit plus personne. Comme il remontoit, son guide sort d’un buisson et luy vient tenir l’estrier, et s’enquérant de ceux qui le poursuivoient, lui dit qu’ils avoient tourné bride de l’heure qu’ilz l’avoient veu se destourner du chemin, (à scavoir que le cheval l’emportoit) comme de fait ilz prirent un homme de pied nommé la Roche, aultrement Emery, depuis huissier du conseil du roy de Navarre à Paris, qui s’estoit adjoint à luy chez le conte Ludovic, et lui dirent qu’il les avoit voulu attirer en une embuscade, mais qu’ilz s’en estoient bien sceu garder. Dieu usant, comme il le fait souvent, des accidens qui nous semblent conduire à la mort pour