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J. LERMONT

pour le travail et le plaisir afin de mieux réussir l’un et l’autre.

— Absolument, firent nos trois voix.

— Je vais écrire tout cela en quadruple exemplaire, et nous en aurons chacune un exemplaire en notre possession, signé de nos quatre noms. Cela vous va-t-il ? »

Si cela nous allait ! Nous nous sentions grandies de deux coudées. Une ligue, comme les ligues politiques et religieuses dont nous parlait l’Histoire. Une Société, comme en avaient nos aînés ! Nous étions bien préparées.

Le lendemain de ce jour mémorable, Hanna, qui avait, par voie d’échange, obtenu d’une externe un morceau de parchemin, jadis couvercle d’un pot de confitures, Hanna, dis-je, nous attira en notre salle de conférences, par derrière le grand tableau où régnait une odeur de craie.

Triomphante, Hanna exhiba le fruit de ses peines. Si petit était le parchemin que, divisé en quatre, il avait fallu écrire de sa plus fine écriture pour faire tenir en cet étroit espace les trois articles ci-dessus mentionnés. Ils y tenaient, cependant, par un miracle d’ingéniosité, dans toute la splendeur de leur encre rouge, et encore, ils étaient accompagnés de notre emblème : une pensée. En tête, ces mots en grosses lettres :

pacte d’amitié.

Et la date.

Il ne restait plus qu’à signer. Tel un scribe de profession, Hanna avait en poche son écritoire, et, nous appuyant pour écrire au tableau noir complaisant, bientôt nous étagions nos quatre signatures au bas de chaque acte.

Minute pathétique que nous pensions ne devoir jamais oublier. Serment solennel qui décidait de notre vie entière !

« Nos mains ! » fit Hanna à demi-voix, brisée par l’émotion, semblait-il.

Nos quatre mains enlacées scellèrent le pacte du quatuor. Aïno, qui avait le cœur sensible, essuya une larme. Sigrid, malgré sa gaieté, était toute troublée.

« Que ferait-on à celle qui… qui manquerait à son serment ? balbutia-t-elle.

— L’histoire nous l’apprend, ce qu’on fait aux traîtres », dit Hanna, tragique.

Mais Aïno, doucement, affirma :

« Nous n’aurons pas de traîtres. »

Nous ne devions pas en avoir non plus. Mon récit y perdra peut-être en intérêt, mais ceci est une histoire vraie. Les années n’ont fait que cimenter notre vieille amitié. Au fond d’un tiroir, mon parchemin jauni dort toujours. Je ne doute pas que Sigrid et les autres n’aient gardé le leur…

Non, certes, je ne pensais pas à m’ennuyer en pension.

En voici la preuve ! Lorsque Mlle Mathilde nous annonça que, nos vacances à l’occasion de la Noël commençant le 20 décembre et se prolongeant jusqu’au 14 janvier, ainsi qu’il est d’usage dans nos écoles, nous avions tout le temps de retourner chez nos parents pour les fêtes, que croyez-vous que je fis ? Je faillis éclater en sanglots. J’aimais tant mes chères études et mes bonnes maîtresses que mon cœur se serrait à l’idée de les quitter pour presque un grand mois. Et mes inséparables, Aïno, Hanna, Sigrid, pourrais-je vivre quatre semaines sans elles ? Comment supporterais-je jamais une si longue séparation ? Mes autres compagnes faisaient partie de ma vie et je les regretterais. Que dis-je ? il n’était pas jusqu’aux murs chargés de cartes, aux bâtiments mêmes, à la cour de récréation que je ne regrettasse d’avance.

Mes compagnes étaient déjà loin ; je ne pouvais me résoudre à les suivre. Seule enfin, adossée à l’escalier pour ne pas tomber, je pleurais à chaudes larmes. Dans l’excès de ma désolation et de ma tendresse pour cet endroit, où l’on m’enseignait patiemment tant de belles choses, je me baissai et, faute de mieux, j’embrassai la rampe de l’escalier.

Hélas ! la rampe était en fer, et il faisait un de ces froids de vingt degrés dont je vous ai parlé.

Bien malgré moi, mes lèvres s’attachèrent si étroitement que je me tirai de là la bouche en sang, des parcelles de chair collées à la rampe. Mon amour me coûtait cher.

(La suite prochainement.)

J. Lermont.