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COLETTE EN RHODESIA

tiers, lui aussi, pris le chemin du sud ; mais Nicole n’était pas encore en état d’affronter les fatigues de la route. Il fut donc convenu qu’il suivrait ses amis avec la jeune malade aussitôt qu’elle serait sur pied.

Les choses ainsi réglées, le départ s’effectua. Puis, après deux semaines, Nicole se trouvant complètement rétablie, le docteur Lhomond la fit monter à cheval et ils prirent le chemin de Prétoria, où les parents attendaient leur fille.

Mme Massey, Colette, Lina et Martine, avec la petite Tottie, restaient ainsi à la tête de la ferme, sous la garde de M. Weber, de Martial Hardouin et de Le Guen.

Les choses reprirent leur cours normal. Une vingtaine de jours s’écoulèrent dans une paix profonde. Et alors, un messager indigène, qui voyageait à pied, apporta la première lettre de M. Massey, datée de Prétoria.

En arrivant à Kimberley, il avait trouvé le dictateur Cecil Rhodes trop occupé de ses préparatifs militaires pour qu’il fût possible de l’entretenir utilement d’affaires subordonnées désormais à l’issue même de la guerre imminente. De toutes parts les Boers se mettaient en mouvement et convergeaient en masse vers Prétoria. Leurs journaux conseillaient de ne pas attendre l’invasion britannique et de la prévenir, au contraire, en franchissant la frontière pour investir les places du Natal et de la colonie du Cap. Kimberley pouvait être d’un moment à l’autre séparé du monde. Les choses y revêtaient un aspect si menaçant, que lord Fairfield avait accepté le commandement du régiment de cavalerie de Cecil Rhodes. M. Higgins lui-même, en qualité de chef élu d’un bataillon de volontaires de la Cité de Londres, en route pour l’Afrique australe, préludait à ses devoirs futurs en s’exerçant tous les matins au maniement d’armes, sous la direction d’un ex-caporal de l’armée régulière. Lady Theodora installait un hôpital militaire…

Quant à M. Massey, il s’était décidé à partir avec Gérard pour Prétoria, à la fois pour ne pas se trouver pris dans Kimberley si la ville était investie par les Boers, pour rejoindre son fils aîné Henri et pour aviser aux mesures qu’il pouvait être utile d’adopter dans l’intérêt commun de sa famille.

À Prétoria, il avait trouvé Henri en bonne santé et très occupé à outiller sa fonderie de canons pour le gouvernement du président Krüger. Sur ces entrefaites, le docteur Lhomond était arrivé à bon port, avec Nicole, qui avait aussitôt rejoint ses parents au camp de Maversneck. Jugeant les ambulances boers insuffisantes et mal organisées, l’excellent homme s’était immédiatement mis à la tête d’un corps de volontaires de la Croix-Rouge. Il désirait vivement y enrôler Gérard et M. Massey lui-même. Peut-être se décideraient-ils à suivre son exemple et à se consacrer au service des blessés, mais ils voulaient, avant d’adopter ce parti, attendre que la guerre fût déclarée, — elle ne l’était pas encore, — et surtout être certains que Mme Massey, Colette et Lina ne désapprouvaient pas cette résolution. C’est sur quoi ils désiraient avoir une réponse précise.

En fait d’autres nouvelles, ils n’en avaient qu’une digne d’être signalée : Brandevin venait d’être engagé par Cecil Rhodes comme chef de l’intendance anglaise à Kimberley. L’administration britannique s’était rappelé à propos qu’en 1855 l’armée anglaise serait morte d’inanition en Crimée sans le fameux cuisinier français Soyer, qui organisa si brillamment son ravitaillement. Elle avait fait un pont d’or au digne Marseillais, pour qu’il se chargeât d’approvisionner les troupes de la reine Victoria, et Brandevin avait accepté ses offres. Il était désormais préposé au roastbeef et au pudding des Habits-Rouges, — ou pour mieux dire des habits « couleur de terre », puisque l’uniforme des troupes anglaises en campagne allait prendre la teinte brune, dite teinte kakki.

Le messager indigène devait rapporter à Prétoria la réponse attendue par M. Massey. Cette réponse, Colette s’empressa de l’écrire sous la dictée de sa mère.

Non seulement personne, à Massey-Dorp. ne s’étonnait de voir le père et le fils se dévouer avec le docteur Lhomond à une œuvre