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LA GRANDE FORÊT

lience et de curiosité éperonnait, suivant son habitude. Du reste, les environs paraissaient être déserts. On n’entendait que le chant des oiseaux et les cris des singes en fuite. Aucune trace ancienne ou récente d’un campement, n’apparaissait à la limite de la clairière. Rien non plus à la surface du cours d’eau, qui char­ riait de grosses touffes d’herbes. De l’autre côté, même apparence de solitude et d’aban­ don. Les cent derniers pas furent rapidement franchis sur la berge qui s’infléchissait alors pour suivre le tournant de la rivière. Le marécage finissait en cet endroit, et le sol s’asséchait à mesure qu’il se surélevait sous la futaie plus dense. L’étrange construction se montrait alors de trois quarts, appuyée aux mimosas, recou­ verte d’une toiture inclinée qui disparaissait sous un chaume d’herbes jaunies. Elle ne pré­ sentait aucune ouverture latérale, et les lianes retombantes cachaient ses parois jusqu’à leur base. Ce qui lui donnait bien l’aspect d’une cage, c’était la grille, ou plutôt le grillage de sa façade, semblable à ceux qui, dans les ménageries, séparent les fauves du public.

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Cette grille avait une porte — une porte ouverte en ce moment. Quant à la cage, elle était vide. C’est ce que reconnut Max Huber qui, l’ayant le premier atteinte, s’était précipité à l’intérieur. Des ustensiles, il en restait quelques-uns, une marmite en assez bon état, uncoquemar, une tasse, trois ou quatre bouteilles brisées, une couverture de laine rongée, des lam­ beaux d’étoffe, une hache rouillée, un étui à lunettes à demi pourri sur lequel ne se laissait plus lire un nom de fabricant. Dans un coin gisait une boite de cuivre dont le couvercle, bien ajusté, avait dû pré­ server son contenu, si tant est qu’elle contint quelque chose. Max Huber la ramassa, essaya de l’ouvrir, n’y parvint pas. L’oxydation faisait adhérer les deux parties de la boîte. Il fallut passer un couteau dans la fente du couvercle qui céda. La boîte renfermait un carnet assez bien conservé, et, sur le plat de ce carnet, étaient imprimés ces deux mots que Max Huber lut à haute voix : Docteur Johausen.

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Le docteur Johausen.

Si John Cort, Max Huber et meme Khamis ne s’exclamèrent pas à entendre prononcer ce nom, c’est que la stupéfaction leur avait coupé la parole. Ce nom de Johausen fut une révélation. Il dévoilait une partie du mystère qui recouvrait la plus fantasque des tentatives scientifiques modernes, où le comique se mêlait au sé­ rieux, — le tragique aussi, car on devait croire qu’elle avait eu un dénouement des plus déplorables. Peut-être a-t-on souvenir de l’expérience à laquelle voulut se livrer l’Américain Garncr dans le but d’étudier le langage des singes, et de donner » à ses théories une démonstration expérimentale. Le nom du professeur, les articles reproduits dans le Hayser’s Weeklyy de New-York, le livre publié et lancé

en Angleterre, en Allemagne, en France, en Amérique, ne pouvaient être oubliés des habi­ tants du Congo et du Cameroun, particuliè­ rement de John Cort et de Max Huber. « Lui, enfin, s’écria l’un, lui, dont on n’avait plus aucune nouvelle... — Et dont on n’en aura jamais, puisqu’il n’est plus là pour nous les donner !... » ré­ pondit l’autre. Lui, pour le Français et l’Américain, c’était le docteur Johausen. Mais, devançant ce doc­ teur, voici ce qu’avait fait M. Garner. Ce n’est pas ce Yankee qui aurait pu dire ce que Jean-Jacques Rousseau dit de lui-même au début des Confessions : « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et qui n’aura point d’imitateur. » L’entreprise de M. Garner devait en avoir au moins un.