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J. LERMONT

notre Université. Elle est fort curieuse, avec ses cérémonies d’un autre âge. Parmi la musique et les salves d’artillerie, dans l’aula, remplie des parents et amis des « gradués », le professeur chargé de présider, après avoir prononcé une harangue ornée de fleurs de rhétorique, remet aux maîtres ès arts les insignes de leur nouveau grade : l’anneau d’or et la couronne de laurier symbolique, tandis que les docteurs reçoivent un chapeau ceint de soie. Puis, c’est un banquet et un bal, offerts par les étudiants et auxquels assistent des invités venus de toutes les parties de la Finlande.

« Tu iras un jour, toi aussi, me dit Hélène, enivrée par les splendeurs qu’elle me contait, et tu seras comme Hilda, tresseuse de couronnes. »

N’ayant pas de frères, ni de cousins, ceci me paraissait peu probable.

Mais Hélène, à qui je donnai mes raisons, prétendit que je serais bien capable d’aller pour mon propre compte étudier à Helsingfors.

La mignonne me faisait trop d’honneur. Elle me croyait appelée aux plus hautes destinées, et, « puisque, disait-elle, il y a des femmes qui étudient dans notre Université, pourquoi n’irais-tu pas, Minna ? Tu pourrais être docteur en droit ou en médecine, étudier les Lettres, les Sciences… »

Je l’interrompis en riant, songeant qu’en effet, depuis que l’accès de l’Université nous est permis, à nous autres femmes, ce n’est plus par unités qu’on nous y compte, comme en 1870 ; l’an passé, il y avait près de cent étudiantes, dont la plupart pauvres et ayant emprunté, pour faire ces longues études, l’argent nécessaire à leur subsistance, et qu’elles s’engagent, sur l’honneur, à rembourser, lorsque, leurs études terminées, elles sont en possession du diplôme qui les met en situation de gagner largement leur vie.

Une fois sur le chapitre d’Helsingfors et de tout ce que sa sœur y avait vu, Hélène ne tarissait pas. C’était la Maison des Étudiants, bâtie avec les fonds provenant de souscriptions volontaires des plus petits « trous » de campagne, comme des plus grandes villes, et aussi avec l’argent amassé par les étudiants eux-mêmes en donnant des soirées ou des concerts. Ainsi est-elle bien à eux, cette Maison des Étudiants, grand beau bâtiment, où ils trouvent des salles de réunion pour toutes les affaires qui leur sont propres, pour leurs sociétés particulières, pour leurs fêtes, une salle de musique et des salles de lecture pourvues de livres, revues et journaux de tous les coins du globe, un restaurant, enfin tout ce qui peut leur constituer un home dans une ville où, venus pour étudier, ils sont le plus souvent seuls et livrés à eux-mêmes. Ceci sans préjudice d’une autre bibliothèque qui, contenant plus de 50,000 volumes, est installée dans un local appartenant également à messieurs les étudiants.

« Quand aurons-nous notre maison des étudiantes ? » demanda Hélène, naïvement.

À cela je ne pouvais répondre. Cependant, rien ne m’étonne de la part de mes compatriotes si vaillantes et si studieuses, et volontiers j’eusse répondu :

« Quand nous le voudrons », oubliant que nous sommes pauvres et notre pays tout petit. Mais à quoi n’arrive-t-on pas avec de la volonté !…

Tout en bavardant, le temps passait. Hélène, parvenue à destination, me dit adieu en m’embrassant à m’étouffer et je continuai ma route vers le nord, rêvant à ceux qui m’attendaient, retrouvant à chaque tour de roue des paysages familiers.

À la station où je m’arrêtai pour continuer mon voyage — en traîneau — je poussai un cri de joie. Mon père était là, et, avec lui, ma petite sœur Elsa, venue à ma rencontre.

Ah ! les heureux moments et le joyeux retour à la maison.

On déclara que j’avais grandi, engraissé, mais que pourtant je n’avais pas changé. « Notre Minna est toujours la même », disait Elsa, qui me mangeait de caresses, et qui semblait, de son côté, avoir la tête de plus qu’à mon départ.

J. Lermont.

(La suite prochainement.)