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JULES VERNE

plus tard au docteur Johausen à rédiger son journal. » Et Max Huber, assez difficilement d’ailleurs, parvint à déchiffrer les lignes suivantes écrites au crayon :

29 juillet 189Zi. — Arrivé arec l’escorte à fa lisière de la forêt d’Oubanghi... Campé sur rive droite d’une rivière... Construit notre radeau. 3 août.— Radeau achevé... Renvoyé l’es­ corte à Nghila... Fait disparaître toute trace de campement... Embarqué avec mon servi­ teur. 9 août. — Descendu le cours d’eau pendant sept jours, sans obstacles... Arrêt à la clai­ rière... Nombreux singes aux environs... Endroit qui parait convenable. 10 août. — Débarqué le matériel... Place choisie pour remonter la cabane-cage sous les premiers arbres de la rive gauche, à l’ex­ trémité de la clairière... Singes nombreux, chimpanzés, gorilles. 13 août. — Installation complète... Pris possession de la cabane... Environs abso­ lument déserts, et aucune trace d’êtres humains, indigènes ou autres... Gibier aqua­ tique très abondant... Cours d’eau poisson­ neux... Bien abrités dans la cabane pendant une bourrasque. 25 août. — Vingt-sept jours écoulés... Existence organisée régulièrement... Quel­ ques hippopotames venus à la surface de la rivière, mais aucune agression de leur part... Élans et antilopes abattus... Grands singes dans la nuit dernière à proximité de la cabane... De quelle espèce sont-ils, cela n’a pu être encore reconnu... Ils n’ont pas fait de démonstrations hostiles, tantôt courant sur le sol, tantôt juchés dans les arbres... Cru entrevoir un feu à quelques cents pas sous la futaie... Fait curieux à vérifier : il semble bien que ces singes par­ lent, qu’ils échangent entre eux quelques phrases... Un petit a dit : « Ngora !... Ngora !... Ngora !... » mot que les indi­ gènes emploient pour désigner la mère. Llanga écoutait attentivement ce que lisait

son ami Max, et, à ce moment, il s’écria : « Oui... oui... ngora... ngora... mère... Ngora... ngora !... » A entendre prononcer ce mot cité par le docteur Johausen et répété par le jeune gar­ çon, comment John Cort ne se serait-il pas souvenu que dans la nuit précédente, alors qu’il veillait, ce mot avait frappé son oreille ? Ayant cru à une illusion, à une erreur, il n’avait rien dit à ses compagnons de cet inci­ dent. Mais, après cette observation du doc­ teur, il jugea devoir les mettre au courant. Et comme Max Huber s’écriait : « Décidément, est-ce que le professeur Garner aurait eu raison ?... Des singes qui parlent... — Tout ce que je puis dire, mon cher Max, c’est que j’ai, moi aussi, entendu prononcer ce mot de ngora ! » affirma John Cort. Et il raconta en quelles circonstances ce mot avait été jeté d’une voix plaintive pen­ dant la nuit du I à au 15, tandis qu’il était de garde. « Tiens, tiens, lit Max Huber, voilà qui ne laisse pas d’être extraordinaire !... — N’est-ce pas ce que vous demandez ? » répondit John Cort. Khamis avait écoulé ce récit. Vraisembla­ blement, ce qui paraissait intéresser le Fran­ çais et l’Américain le laissait assez froid. Les faits relatifs au docteur Johausen, il les accueillait avec indifférence. L’essentiel, c’était que le docteur avait construit un radeau dont on pourrait disposer, ainsi que des objets que renfermait sa cage abandonnée. Quant à savoir ce qu’étaient devenus son serviteur et lui, le foreloper ne comprenait pas qu’il y eût lieu de s’en inquiéter, encore moins que l’on pût avoir la pensée de se lancer à travers la grande forêt pour retrouver leurs traces, au risque d’être enlevé comme ils l’avaient été sans doute. Donc, si Max Huber et John Cort proposaient de se mettre à leur recherche, il s’emploierait à les en dissuader, il leur rap­ pellerait que le seul parti à prendre était de continuer le voyage de retour en descendant le cours d’eau jusqu’à l’Oubanghi. La raison, d’ailleurs, indiquait qu’aucune