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LA FOUX-AUX-ROSES

teau, et l’avoir porté en nous relayant jusqu’à l’endroit convenu, nous remîmes l’odorant fardeau aux mains de Sigrid et de Heddi avec mille recommandations ; mais, au lieu de nous en aller aussitôt que nous vîmes nos ambassadrices devant la maison de Mlle Mathilde, nous restâmes un instant à causer de ce grand événement et à deviser de la joie probable de l’héroïne du jour. Puis, tournant sur nos talons, nous reprîmes lentement le chemin de l’école. Nous n’avions pas à nous presser. Nous étions en avance de plus d’une demi-heure.

Nous n’avions pas fait vingt pas que Heddi arriva tout courant, tout essoufflée.

« Mesdemoiselles, arrêtez. Venez tout de suite. Elle veut vous parler… » Elle, Mlle Mathilde. Mais comment savait-elle que nous étions là ? Qui le lui avait dit ?

Heddi ne nous expliqua rien. Elle répétait : « Vite, vite, elle vous attend. Elle a dit que vous la fâcheriez beaucoup en résistant. »

Mlle Mathilde nous attendait si bien que, dans son salon, un festin était préparé en notre honneur. Le café fumait dans la grande cafetière d’argent ; des assiettes de fine porcelaine à fleurs étaient chargées de biscuits ; du miel doré et du beurre exquis, comme seul est le nôtre, eussent tenté de plus âgées que nous ; des confitures et du pain d’épices, ajoutés évidemment à notre intention, donnaient un air de fête à cette table. Bon gré, mal gré, il fallut s’asseoir et goûter de tout, et prendre notre part de ce beau gâteau que nous voulions tout entier pour notre chère maîtresse.

Elle avait été plus fine que nous, mal cachées dans notre coin.

L’année suivante, par exemple, elle n’eut pas le dernier mot : au lieu d’un gâteau, ce fut un superbe volume, magnifiquement relié et orné d’illustrations d’un artiste célèbre, que nous offrîmes à Mlle Mathilde, et, cette fois, elle fut bien obligée de garder « tout entier » notre cadeau.

J. Lermont.

(La suite prochainement.)


LA FOUX-AUX-ROSES

Par A. MOUANS

CHAPITRE VI


« Voilà deux jours à peine qu’elle est partie ! s’écriait Mlle Dorothée en se promenant avec agitation de la cuisine à la salle où la domestique venait de desservir son unique couvert : il me semble que je ne l’ai pas vue depuis deux ans ; je ne dors plus, mon appétit s’en va et… oui, vraiment, je ne me soucie qu’à demi des travaux de ma campagne !… Mes olivettes et mes vignes finiront par me paraître insipides si l’absence d’Irène se prolonge !… Tiens, Marie-Louise, en cinq minutes, c’est la troisième fois que je m’approche de la fenêtre, sais-tu pourquoi ?

— Ça n’est pas difficile à deviner, pécaïre, répondit la jeune fille en riant ; moi aussi je m’y prends et je guette si notre belle pichoune va rentrer ; la bastide sans elle c’est trop triste, il faut la faire revenir.

— Pour qu’elle pleure comme l’autre jour et qu’elle s’ennuie encore ; nous serions bien avancées ! Non, ma fille, j’ai plus de fermeté que tu ne penses et cette petite ingrate restera là-bas tant que cela lui plaira ; elle s’ennuyait avec nous, entends-tu bien, elle se trouvait seule auprès de moi, je ne l’aurais jamais pensé ! »

Marie-Louise se récria :

« Par exemple ! quand est-ce que Mlle Irène a montré de l’ennui ? C’est à présent qu’elle doit trouver le temps long, loin de sa tante Dor, et si mademoiselle voulait lui donner de petites amies, tout irait bien ; je sais ce que