m’aperçut avant d’être en mer ; mais, à quoi bon me rouler de gros yeux, puisque ce n’est pas elle !
— Cela ne vous fâche pas que je sois là ? » demanda timidement Irène.
Norbert examina avec curiosité sa petite cousine et se mit à rire :
« Tiens, c’est drôle de vous entendre parler, vous n’êtes pas du tout la même quand vous nous regardez sans mot dire sur les bords de la Foux ; Jacques prétend que vous nous narguez, moi, je n’en crois rien… »
Le jeune garçon s’arrêta et rougit au souvenir des méchants tours que son frère avait joués à Irène, mais dans les yeux gris de celle-ci il ne lut aucun reproche et, s’enhardissant, il lui tendit la main :
« Nous allons faire connaissance, n’est-ce pas ?
— Je ne demande pas mieux. »
Pauvre tante Dor ! qu’eut-elle dit en voyant la cordiale poignée de main qu’ils échangèrent ?…
« Tu vois bien, vieux Raybaud, que tout est pour le mieux, s’écria Norbert.
— Tout est très mal, au contraire ! riposta le bonhomme d’un ton bourru : Mlle Lissac croira que j’ai fait exprès de vous emmener ; moi, j’aime mieux une tempête aux Açores qu’une colère de votre cousine !… mais, quand je me gendarmerais, cela n’avancerait à rien ; puisque vous êtes contents tous deux, profitez de la promenade, on verra ensuite. »
Les enfants se regardèrent en riant, s’assirent l’un à côté de l’autre, et Norbert qui, au fond, était assez embarrassé de se trouver pour la première fois auprès de cette petite parente, s’avisa de lui prêter la vieille lorgnette de Louis :
« Regardez, Irène, le phare d’Antibes n’est plus qu’un point blanc tout là-bas, voici le golfe Jouan et les villas de Cannes…
— Oh ! fit naïvement Irène, des villas, je connais ça, on en voit à Grasse ; mais je n’avais jamais vu tant d’eau à la fois… la Foux-aux-Roses est vraiment beaucoup plus petite que la mer ! »
Norbert eut un éclat de rire :
« Quelle drôle de réflexion ! d’où sortez-vous, cousinette, est-ce que vous n’apprenez pas la géographie ?
— Si fait, mais, sur une carte, comment voulez-vous qu’on se doute de ce qu’on ne voit pas autrement ?… la Méditerranée est mille fois plus belle et plus grande que je ne me le figurais.
— Alors, vous ne l’aviez jamais vue ?
— Non, c’est mon premier voyage. Tante Dor ne veut pas aller en chemin de fer et dit qu’il vaut mieux nous promener dans notre campagne que de faire le tour du monde. Est-ce que vous pensez comme elle ?
— Un garçon de mon âge n’a pas les mêmes goûts que votre tante, et puis je veux être marin. Saviez-vous cela, Irène ?
— Comment pourrais-je le savoir ? Voilà la première fois que nous causons ensemble.
— C’est pourtant vrai ; mais nous nous entendons fort bien, dit le jeune garçon en regardant d’un air amical la petite parente, qui n’était pour lui qu’une nouvelle connaissance.
— Très bien », répéta Irène.
Puis, avec un hochement de tête :
« Malheureusement, quand vous serez à Beau-Soleil et moi dans notre bastide, ce sera comme avant : ma tante ne vous permettrait pas de venir, ni à moi d’aller chez vous.
— Eh bien, en attendant mieux, j’irai vous faire des visites au bord de la Foux-aux-Roses.
— Vous croyez que cela se peut ?
— Comment donc ! la cousine Lissac ne vous défend pas de vous promener dans le bois d’orangers ; au lieu de vous cacher derrière les arbres, vous viendrez au bord de l’eau, et puis… n’ayez pas peur, j’empêcherai Jacques de vous taquiner.
— Merci, Norbert ; vous êtes très bon. »
(La suite prochainement.)