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LA GRANDE FORÊT demanda près d’une heure. On avait dû cou­ per de jeunes baliveaux, puis les ébrancher afin d’en faire des espars au moyen desquels on s’écarta de la berge. Le remous y mainte­ nait le radeau. Si la bande fût revenue à cette heure, il n’aurait pas été possible d’éviter son attaque en sc rejetant dans le courant. Sans doute, ni le foreloper ni ses compagnons ne fussent sortis sains et saufs de cette lutte trop inégale. Enfin, après mille efforts, le radeau attei­ gnit l’extrémité de la pointe, la tourna et commença à redescendre le cours du rio Johausen. La journée promettait d’ètrc belle. Aucun symptôme d’orage à l’horizon, aucune menace de pluie. En revanche, une averse de rayons solaires tombait d’aplomb,et la chaleur aurait été torride, sans une vive brise du nord, dont le radeau sc fût fort aidé, s’il eût possédé une voile. La rivière s’élargissait graduellement à me­ sure qu’elle se dirigeait vers le sud-ouest. Plus de berceau s’étendant sur son lit, plus de branches s’enchevêtrant d’une rive à l’autre. En ces conditions, la réapparition des quadrumanes sur les deux berges n’aurait pas présenté les mêmes dangers que la veille. D’ailleurs, ils ne se montrèrent pas. Les bords du rio, cependant, n’étaient pas déserts. Nombre d’oiseaux aquatiques les ani­ maient de leurs cris et de leurs vols, canards, outardes, pélicans, martins-pêcheurs et mul­ tiples échantillons d’échassiers. John Cort abattit plusieurs couples de ces volatiles, qui servirent au repas de midi, avec les œufs dénichés par le jeune indigène. Du reste, afin de regagner le temps perdu, on ne fit pas halte à l’heure habituelle et la pre­ mière partie de la journée ne fut marquée par aucun incident. Dans l’après-midi, il se produisit une alerte, non sans sérieux motifs. Il était quatre heures environ lorsque Kha­ mis, qui tenait la godille à l’arrière, pria John Cort de le remplacer et vint se poster debout à l’avant. Max Huber se releva, s’assura quenul dan­

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ger ne menaçait ni sur la rive droite, ni sur la rive gauche et dit au foreloper : « Que regardez-vous donc ?... — Cela. » Et, de la main, Khamis indiquait en aval une assez violente agitation des eaux au milieu du courant. « Encore un remous, s’écria Max Huber, ou plutôt une sorte de maëlstrom de rivière !... Attention à ne point tomber là dedans... — Ce n’est pas un remous, répondit Khamis. — Et qu’est-ce donc ?... » A cette demande répondit presque aussitôt une sorte de jet liquide qui monta d’une dizaine de pieds au-dessus de la surface du rio. Max Huber, très surpris, s’écria : « Est-ce que, par hasard, il y aurait des baleines dans les fleuves de l’Afrique cen­ trale ?... — Non... mais des hippopotames », répli­ qua le foreloper. Un souille bruyant se fit entendre à l’in­ stant où émergeait une tète énorme, des mâ­ choires armées de fortes défenses, et, pour employer des comparaisons singulières, mais justes, « un intérieur de bouche semblable à une masse de viande de boucherie, et des yeux comparables à la lucarne d’une chau­ mière hollandaise ! » Ainsi se sont exprimés quelques voyageurs particulièrement imagi­ natifs. Deces hippopotames, on en rencontre depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’au vingt-troi­ sième degré de latitude nord. Ils fréquentent la plupart des rivières de ces vastes régions, les marais et les lacs. Toutefois, suivant une remarque qui a été faite, si le rio Johausen eût été fleuve tributaire de la Méditerranée, il n’y aurait pas eu à se préoccuper des atta­ ques de ces amphibies,car ils ne s’y montrent jamais, sauf dans le haut Nil. L’hippopotame est un animal redoutable, bien que doux de caractère. Pour une raison ou pour une autre, lorsqu’il est surexcité, sous l’empire de la douleur, à l’instant où il vient d’être harponné, il s’exaspère, il se précipite avec fureur contre les chasseurs, il les pour­