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JULES VERNE

les cas et pas assez pour atteindre la berge. Visiblement ses forces le trahissaient. Il se débattait, paraissait, disparaissait, et, par intervalles, un cri singulier, une sorte de glous­ sement, s’échappait de ses lèvres. Par instinct, par un sentiment d’humanité, sans prendre le temps d’appeler, Llanga se jeta dans le rio, et gagna la place où l’enfant venait de s’enfoncer une dernière fois. A ce moment, John Cort et Max Iluber, qui avaient entendu le premier cri, accoururent sur le bord de la crique. Apercevant Llanga qui soutenait un corps à la surface de la rivière, ils lui tendirent la main pour l’aider à remonter sur la berge. « Eh ! Llanga, s’écria Max Iluber, qu’es-tu allé repêcher là ?... — Un enfant... mon ami Max, un enfant... Il allait se noyer... — Un enfant ?... répéta John Cort. — Oui, mon ami John ! » Et Llanga s’agenouilla près du petit être qu’il venait de sauver. Max Iluber se pencha afin de l’observer de plus prés. « Ce n’est pas un enfant !... s’écria-t-il en se relevant. — Qu’cst-ce donc ?... demanda John Cort. — Un petit singe... un rejeton de ces abomi­ nables grimaciers qui nous ont assaillis !... Et

c’est pour le tirer de la noyade que tu as risqué de te noyer, Llanga ?... — Un enfant... si... un enfant !... répétait Llanga. — Non, te dis-je, et je t’engage à l’envoyer rejoindre sa famille dans les bois. » Mais, était-ce donc qu’il ne crut pas à ce qu’affirmait son ami Max, Llanga s’obstinait à voir un enfant dans le petit être qui lui devait la vie, et qui n’avait pas encore repris connaissance. Aussi, n’entendant pas s’en séparer, il le souleva entre ses bras. Au total, le mieux était de le laisser faire à sa guise. Après l’avoir rapporté au campement, afin de l’y réchauffer, Llanga s’assura que l’enfant respirait encore, il le frictionna, puis il le coucha sur l’herbe sèche, attendant que ses yeux se rouvrissent. La veillée organisée comme d’habitude, les deux amis ne tardèrent pas à s’endormir, tandis que Khamis resterait de garde jusqu’à mi­ nuit. Llanga ne put se livrer au sommeil. Inquiet, il épiait les plus légers mouvements de son protégé, étendu près de lui, il lui tenait les mains, il écoutait sa respiration si faible... Et quelle fut sa surprise, lorsque, vers onze heures, il entendit ce mot prononcé d’une voix faible : « Ngora... ngora ! » comme si cet enfant eût appelé sa mère !

XI La journée du 19 mars.

A cette dernière halte, il y avait lieu d’esti­ mer que le parcours s’était effectué sur deux cents kilomètres, moitié à pied, moitié en descendant le rio Johausen. En restait-il en­ core autant pour atteindre l’Oubanghi ?... Non, dans l’opinion du foreloper, et cette seconde partie du voyage serait rapidement faite, à la condition que nul obstacle n’arrètàt le radeau. On s’embarqua dès le point du jour avec le petit passager supplémentaire, dont Llanga n’avait pas voulu se séparer. Après l’avoir transporté sous le toit de feuillage, il voulut demeurer près de lui, espérant que ses yeux allaient se rouvrir. Que ce fût un membre de la famille des

quadrumanes du continent africain, chim­ panzés, orangs, gorilles, mandrilles, babouins et autres, cela ne faisait pas doute dans l’esprit de Max Iluber et de John Cort. Ils n’avaient même guère songé à le regarder de plus près, à lui accorder une attention spé­ ciale. Cela ne les intéressait pas autrement. Llanga l’avait sauvé la veille, il désirait le garder, comme on garde un pauvre chien recueilli par pitié, soit ! Qu’il s’en fît un compagnon, rien de mieux, et cela témoignait de son bon cœur. Après tout, puisque les deux amis avaient adopté le jeune indigène, il était bien permis à celui-ci d’adopter un petit singe. Vraisemblablement, d’ailleurs, dès