Page:Magasin d'Éducation et de Récréation, Tome XIII, 1901.pdf/244

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
EN FINLANDE

particulière d’un rouge brun, tirant sur le noir, que le contact de la pointe de feu laisse sur le bois. On fait grand usage, chez nous, de cette écorce de bouleau si blanche et si légère ; les paysans la séparent en lanières qu’ils tressent, et ils en confectionnent corbeilles, paniers, et jusqu’à des chaussures, galoches sans talon, légères, fraîches et très agréables à porter en été. Cet art de dessiner à la pointe de feu, sur du bois, la pyrogravure, est très répandu chez nous et chez nos voisins, les Suédois : plats, assiettes à dessert, dressoirs, meubles de toutes sortes, et même panneaux ou portes et plafonds entiers, sont ornés de dessins reproduisant des tableaux célèbres ou dus à la fantaisie de l’artiste.

Mais me voilà loin de nos pique-niques aux pommes de terre. Les précieux tubercules et une certaine quantité de beurre fraîchement baratté ne nous suffisaient pas. On y joignait du pain, du sucre et des gâteaux secs, et on n’avait garde d’oublier du café en poudre. L’endroit où devait avoir lieu le pique-nique étant convenu d’avance, les quatre ou cinq petites ménagères y étaient bien avant les autres pour tout préparer, elles, de par leur mission, maîtresses de maison. Le sentiment de leur responsabilité, très vif, leur faisait attacher une grande importance à ce que chacun fût bien nourri. Elles eussent été désolées qu’on pût les accuser d’avoir mal rempli leur mandat ou gaspillé la fortune commune. Il y avait aussi une petite question d’émulation. On ne voulait pas s’acquitter de ces fonctions moins bien que celles qui avaient précédé ou qui suivraient.

Maîtresses et élèves et jusqu’à M. Ollan, qui n’avait pas l’air le moins heureux, nous nous réunissions dans une belle prairie ombragée et nos ménagères nous accueillaient non point par un bonjour mais par l’indispensable tasse de café, ce complément obligatoire de toute réunion, dans nos contrées septentrionales, du café brûlant, fumant, parfumé, ni trop fort, ni pas assez, adouci par de la crème double, et accompagné de biscuits, de pains doux et de gâteaux.

Mais la cuisson des pommes de terre nouvelles était le grand événement du jour et, pour cela, il était d’usage de ne pas s’en rapporter uniquement aux pourvoyeuses. Le café avalé, tout le monde se met à l’œuvre. Il faut rapporter de la forêt voisine des brassées de bois mort et entretenir un immense brasier dans lequel on fera chauffer à blanc de grosses pierres plates. Des morceaux de bois servent ensuite de pelle et de pincettes pour les transporter dans le trou qui va être le four. Alors, sur un lit de pierres brûlantes, on étale une couche de pommes de terre qu’on recouvre de larges feuilles d’arbre. Puis un second lit de pierres chauffées, un autre de pommes de terre sous leur couverture de feuillage et, par-dessus le tout, un amas de branchages et de feuilles pour bien conserver la chaleur dans notre four improvisé. Après quoi, il ne restait qu’à s’amuser pendant la cuisson du festin rustique, et on s’amusait en conscience. On courait dans la prairie, on se poursuivait, on cueillait des fleurs, on pourchassait les papillons, on chantait, on dansait, on faisait d’interminables parties de colin-maillard ou de quatre coins.

Les maîtresses, souriant de notre ardeur juvénile, se reposaient, ou, complaisamment, se mêlaient aux jeux des fillettes que les « grandes » dédaignaient pour se promener enlacées par groupes où l’on chuchotait bien bas de graves secrets, confidences puériles ou riants rêves d’avenir ; mais lorsqu’on nous appelait pour dîner, nulle ne se faisait attendre. Nous trouvions le couvert mis sur une large pierre servant de table. Une serviette d’un blanc de neige formait la nappe. Quel luxueux couvert eût valu cela ! quels sièges de velours, nos moelleux coussins de mousse à l’ombre des grands arbres, du haut desquels des rossignols ou des grives voyageuses nous régalaient de leur concert harmonieux ! quel festin de Balthazar eût approché de ces exquises pommes de terre savoureuses, farineuses, fumantes, fondantes dans la bouche comme une crème délicieuse avec ce beurre au goût de noisette qu’on nous distribuait sans compter.

Nous eussions été bien difficiles, en effet ;