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COLETTE EN RHODESIA

pourquoi on pouvait espérer aussi que la fillette était saine et sauve, car pas une autre force que l’instinct de sa tendresse n’eut asservi Goliath…

Mais qui était ce quelqu’un ?… Un Européen, sans nul doute, puisque la trace de ses pas indiquait des chaussures de cuir…

Tout naturellement, les soupçons se portaient sur Benoni, désigné par sa haine même, par sa tentative antérieure, par la connaissance expérimentale qu’il avait de la valeur propre du chargement de l’éléphant…

Martial Hardouin, en formulant ces déductions successives, à mesure qu’elles s’imposaient à son esprit, insistait sur une circonstance qui semblait rassurante : l’absence de pas indigènes parmi les traces relevées jusqu’au ruisseau.

« Ce n’est qu’un indice, mais il permet de penser que le bandit est seul, avec un acolyte de son espèce, disait-il. Et nous pouvons, par conséquent, espérer que son but unique aura été de s’emparer du canon et des obus, comme il faut supposer que la chère fillette lui est indispensable pour se faire obéir de Goliath…

— C’est chose évidente ! appuya Le Guen. Sans Tottie, la bête ne se laisserait pas emmener aisément, j’en réponds !… »

Et le silence se rétablit. Chacun se disait que, dans cette hypothèse même, le sort de l’enfant et celui de l’infortuné Weber restaient singulièrement précaires. Ce Benoni — s’il était bien le ravisseur — avait montré de quoi il pouvait être capable… Une fois sa proie en sûreté, n’aurait-il pas un épouvantable intérêt à supprimer les témoins de son vol ?…

« Et, après tout, que fera-t-il de ce canon, de ces obus ? dit tout haut Colette, suivant le fil de ses poignantes réflexions.

— Il ne peut avoir qu’une idée en tête, et cette idée n’a pu venir qu’à lui ! répondit aussitôt son mari. C’est de vendre, soit aux Anglais, soit aux Boers, l’arme terrible dont il a vu les effets, s’il n’est pas resté parmi les morts le jour de l’assaut…

— Pas de danger de cela ! dit Martine. Les canailles de son espèce ne s’exposent guère !…

— S’il avait les Boers en vue, poursuivit Martial Hardouin, il serait allé vers Prétoria… Or, il se dirige vers la frontière du sud ; c’est donc aux Anglais qu’il destine sa proie…

— Nous raisonnons sur des indices bien faibles, remarqua Mme Massey ; mais il faut reconnaître qu’en effet tout cela paraît vraisemblable… Des noirs n’auraient pas songé à s’emparer d’une arme dont ils ignorent l’usage, et les traces de pas sont là pour confirmer votre supposition… »

Ici, un sanglot déchirant arrêta le débat. C’était Colette, qui ne pouvait plus contenir son amer chagrin. Courageuse et indomptable devant le danger personnel, elle perdait tout sang-froid à l’idée des périls que courait son enfant.

« Oh ! qui me rendra ma petite fille, ma chère petite fille ! » disait-elle au milieu des larmes, en mordant son mouchoir.

Elle se calma, afin ne pas désespérer sa mère, et reprit assez d’empire sur elle-même pour demander qu’on se remît à discuter les motifs qui restaient d’espérer. La nuit se passa à raisonner de la sorte, car personne n’avait un instant pensé à dormir, et le jour ne se fut pas plus tôt levé que les recherches recommencèrent.

Il fallut côtoyer le ruisseau sur la longueur de dix kilomètres à l’est, pour retrouver la trace perdue. Les ravisseurs de Tottie, quels qu’ils fussent, avaient suivi le lit du cours d’eau sur cette distance, pour dépister ceux qui pourraient les poursuivre. Puis, ils avaient repris leur route vers le sud.

La chevauchée repartit et quelque temps encore les empreintes restèrent apparentes. Mais, à chaque nouveau cours d’eau, la difficulté renaissait, car la même précaution avait été observée par le ravisseur. Et, d’autre part, la nature du terrain ayant changé pour devenir rocailleuse, les traces de pas n’apparaissaient plus qu’à de longs intervalles. Par bonheur, le flair de Phanor y suppléait et ses aboiements joyeux, quand il retombait sur la piste perdue, venaient périodiquement ranimer les espérances de la petite troupe.

Quatre jours, elle alla ainsi, par monts et