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LA GRANDE FORÊT

gibier, ceux-là rapportaient les jarres qu’ils avaient remplies au lit du rio. « 11 est fâcheux, dit Max Huber, que nous ne sachions pas la langue de ces naturels !... Jamais nous ne pourrons converser ni prendre une connaissance exacte de leur littérature... Du reste, je n’ai pas encore aperçu la biblio­ thèque municipale... ni le lycée de garçons ou de filles ! » Cependant, puisque la langue wagddicnne, après ce qu’on avait entendu de Li-Maï, se mélangeait de mots indigènes, Khamis essaya de quelques-uns des plus usuels en s’adres­ sant à l’enfant. Mais, si intelligent que parût Li-Maï, il sembla ne point comprendre. Et pourtant, «levant John Cort et Max Huber, il avait pro­ noncé le mot « ngora », alors qu’il était couché sur le radeau. Et, depuis, Llanga affirmait avoir appris de son père que le village s’ap­ pelait Ngala et le chef Mselo-Tala-Tala. Enfin, après une heure de promenade, le forcloper et ses compagnons atteignirent l’extrémité du village. Là s’élevait une case de construction plus importante. Établie entre les branches d’un énorme bombax, avec sa façade treillisséc de roseaux, sa toiture se perdait dans le feuillage. Devant la porte fermée se tenaient deux robustes Wagddis. Cette case plus grande, plus confortable, était-ce le palais du roi, le sanctuaire des sor­ ciers, le temple des génies, tels qu’en possèdent la plupart des tribus sauvages, en Afrique, en Australie, dans les îles du Pacifique ?... L’occasion se présentait de tirer de Li-Maï quelques renseignements plus précis. Aussi, John Cort, le prenant par les épaules et le tournant vers la case, lui dit : « Mselo-Tala-Tala ?... » In signe de tête fut toute la réponse qu’il obtint. Donc, là demeurait le chef du village de Ngala, Sa Majesté wagddienne. Et, sans plus de cérémonie, Max Huber se dirigea vers la susdite case. Changement d’attitude de l’enfant, qui le saisit par le bras et le retint en manifestant un véritable effroi.

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Nouvelle insistance de Max Huber, répétant à plusieurs reprises : «Mselo-Tala-Tala !... » Mais, au moment où il se dirigeait vers la case, le petit l’empêcha d’aller plus avant. II était donc défendu d’approcher !... En effet les deux Wagddis venaient de sc lever et, brandissant leurs armes, une sorte de hache faite de bois de fer et une sagaie, ils se postèrent devant la porte. Nul doute que l’entrée de la demeure royale ne fût interdite. « Allons, s’écria Max Huber, ici comme ailleurs, dans la grande forêt de l’Oubanghi comme dans les capitales du monde civilisé, des gardes du corps, des cent-gardes, des prétoriens en faction devant le palais, et quel palais... celui d’une Majesté homo-simienne. — Pourquoi s’en étonner,mon cher Max ?... — Eh bien, déclara celui-ci, puisque nous ne pouvons voir ce monarque, nous lui écri­ rons pour lui demander une audience... — Bon, répliqua John Cort, s’ils parlent, ces primitifs, ils n’en sont pas arrivés à savoir lire et écrire, j’imagine !... Encore plus sau­ vages que les indigènes du Soudan et du Congo, les Founds, les Chiloux, les Denka, les Monbouttous, ils ne semblent pas avoir atteint ce degré de civilisation qui implique la préoc­ cupation d’envoyer leurs enfants à l’école. — Je m’en doute un peu, John. Au surplus, comment correspondre par lettre avec des gens dont on ignore la langue ?... — Laissons-nous conduire par ce petit, dit Khamis. — Est-ce que tu ne reconnais pas la case de son père et de sa mère ?... demanda John Cort au jeune indigène. — Non, mon ami John, elle est de ce côté... répondit Llanga, mais... sûrement... Li-Maï nous y mène !... Il faut le suivre. » Et alors, s’approchant de l’enfant et ten­ dant la main vers la gauche de la case royale : « Ngora... ngora ?... » répéta-t-il. L’enfant comprit, car sa tète s’abaissa et sc releva vivement. « Ce qui indique, fit observer John Cort, que le signe de dénégation et d’affirmation est