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JULES VERNE

« Et notre présence ne produit aucun effet sur lui, dit Max Iluber, et il ne semble meme pas nous apercevoir !... Que diable ! nous ne ressemblons pourtant pas à ces demi-singes de Ngala, et,pour avoir vécu parmi eux depuis trois semaines, nous n’avons pas encore perdu, j’imagine, figure d’hommes !... » Et il fut sur le point de crier :

« Hé !... monsieur... là-bas... faites-nous donc l’honneur de regarder... » A cet instant, John Cort lui saisit le bras et, d’une voix qui dénotait le comble de la sur­ prise : « Je le reconnais... dit-il. — Vous le reconnaissez ?... — Oui !... C’est le docteur Johausen ! »

XVII En quel état le docteur Johausen !

John Cort avait autrefois rencontré le docteur Johausen à Libreville. 11 ne pouvait faire erreur : c’était bien ledit docteur qui régnait sur cette peuplade wagddienne ! Son histoire, rien de plus aisé que d’en résumer le début en quelques lignes, et même de la reconstituer tout entière. Les faits s’enchaînaient sans solution sur cette route qui allait de laçage forestière au village de Ngala. Trois ans avant, cet Allemand, désireux de reprendre la tentative peu sérieuse et, dans tous les cas, avortée du professeur Garner, quitta Malinba avec une escorte de noirs, em­ portant un matériel, des munitions et des vivres pour un assez long temps. Ce qu’il voulait faire dans l’est du Cameroun, on ne l’ignorait pas. Il avait formé l’invraisemblable projet de s’établir au milieu des singes afin d’étudier leur langage. Mais de quel côté il comptait sc diriger, il ne l’avait confié à personne, étant très original, très maniaque et, pour employer un mot dont les Français se servent fréquemment, à demi toqué. Les découvertes de Khamis et de scs com­ pagnons, pendant leur voyage de retour, prouvaient indubitablement que le docteur avait atteint dans la foret l’endroit où coulait le rio baptisé de son nom par Max Huber. Après avoir renvoyé son escorte, il avait con­ struit un radeau et s’y était embarqué avec un indigène demeuré à son service. Puis, tous deux descendirent la rivière jusqu’au maré­ cage, à l’extrémité duquel fut établie la ca­ bane treillagée sous le couvert des arbres de la rive droite.

Là s’arrêtaient les données certaines rela­ tives aux aventures du docteur Johausen. Quant à ce qui avait suivi, les hypothèses sc changeaient maintenant en certitudes. On sc souvient que, en fouillant la cage, vide alors, Khamis avait mis la main sur une petite boîte de cuivre qui renfermait un carnet de notes. Or, ces notes se réduisaient à quelques lignes tracées au crayon, à diverses dates, de­ puis celle du 29 juillet 189Z» jusqu’à celle du 2à août de la même année. 11 était donc démontré que le docteur avait débarqué le 29 juillet, achevé son in­ stallation le 13 août et habité sa cage jusqu’au 25 du mémo mois, soit, au total, treize jours pleins. Pourquoi l’avait-il abandonnée ?... Etait-ce de son propre gré ?.... Évidemment, non. Que les Wagddis s’avançassent parfois jusqu’aux rives du rio, Khamis, John Cort et Max Huber savaient à quoi s’en tenir à cet égard. Ces feux qui illuminaient la lisière de la forêt, à l’arrivée de la caravane, n’étaient-cc pas eux qui les promenaient d’arbre en arbre ?... De là cette conclusion que ces primitifs décou­ vrirent la cabane du professeur, qu’ils s’emparèrent de sa personne et de son ma­ tériel, que le tout fut transporté au village aérien. Quant au serviteur indigène, il s’était enfui sans doute à travers la forêt. S’il eût été conduit à Ngala, John Cort, Max Huber, Khamis l’eussent déjà rencontré, lui qui n’était pas roi et qui n’habitait point la case royale. D’ailleurs, il aurait assurément figuré dans la