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ANDRÉ LAURIE

prend du nouveau en voyageant !… Et vous voyez, chère amie, qu’un séjour de vingt-quatre heures dans cette aimable république m’a déjà transformée ; Algernon ne me reconnaît pas ; je ne me reconnais pas moi-même, tout me plaît, m’amuse et m’intéresse. J’ai dormi cette nuit sans chloral. Rien que ce volumineux document vous attesterait mes dispositions nouvelles, vous qui souvent vous plaignez de mes bulletins en style télégraphique. Et je ne vous ai pas dit, je désespère de vous dire la millième partie de tout ce que j’ai vu et admiré depuis hier. Je ne vous ai pas parlé des plantations, pépinières, vignes, espaliers, serres chaudes, où l’art du jardinage conjugué avec la vigoureuse sève africaine donne des résultats véritablement surprenants. Le Guen, factotum de la maison, qui était jardinier avant de devenir matelot, explorateur, et finalement époux de Martine, s’adonne à la greffe et au perfectionnement des fruits, et ceux que j’ai vus sur les espaliers vous feraient ouvrir de grands yeux, je vous assure : du raisin digne de rivaliser avec les grappes historiques de la Terre-Promise ; des cerises grosses comme des abricots ; des pêches grosses comme des melons et des melons gros comme des citrouilles ; le tout paré de couleurs, pénétré de parfums, doué de saveurs que ne connaît pas notre Europe étriquée et gelée ; non, il n’y a pas de fortune qui tienne ! Jamais, quoi qu’on fasse, cette somptuosité invraisemblable ne se développera sous notre avare soleil, et quelque soin qu’on apporte à emmailloter nos fruits dans du coton pour vous les envoyer, vous ne les verrez, ne les sentirez, ne les goûterez jamais dans leur native perfection. Pour cela, il faut venir en Rhodesia, il n’y a pas d’autre moyen.

De ma fenêtre, je plonge dans le cottage Weber où Lina, probablement aidée des lumières paternelles, a planté de ses mains un jardin qui est simplement féerique. Où que je jette les yeux, tout est soleil, joie et bien-être… N’est-ce pas trop beau pour durer ?… Hélas ! quand l’harmonie et la paix ont-elles jamais persisté sur ce petit globe batailleur ?…

Toute à vous, chère Mabel,

Theodora.


mm(La suite prochainement.}
André Laurie.mm