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EN FINLANDE

des bouleaux, leurs voisins, bordent la route, mais on a eu soin de ménager des éclaircies afin de permettre aux voyageurs de contempler les merveilles qu’offrent simultanément les deux lacs. Toute la surface du lac d’azur est parsemée d’îlots minuscules ou plus grandioses, de rocs de granit aux sévères contours, de bouquets de verdure, ou d’îles fleuries jetées sur l’onde comme des bouquets.

Une arête fort élevée court tout le long de la presqu’île comme une chaîne de petites montagnes et nous avions un peu peur de nous sentir si haut, au milieu de ce lac immense. J’ai éprouvé là l’impression la plus saisissante de ma vie. Depuis, j’ai lu maintes descriptions, en prose ou en vers, j’ai vu maint tableau ; tous nos écrivains, tous nos poètes, tous nos artistes ont célébré à leur manière les beautés de Punkaharju. Si belles que soient leurs descriptions ou leurs études, aucune n’approche de la réalité. Punkaharju est une de ces rares merveilles de la nature, dont la splendeur défie toute description.

Nous y passâmes toute une journée et une partie de la nuit. Nous voulions assister au coucher du soleil, voir l’astre magique illuminer les rives du lac Saïmen et se refléter dans les eaux bleues. Nous voulions par nous-mêmes jouir de ce paysage lunaire chanté par Topelius. Mais ici, je ne puis assez le dire, toute parole est au-dessous de la vérité. Il nous semblait être transportées en un féerique pays de rêve…

Nous étions parvenues au but de notre voyage. Nous avions vu une merveille célèbre. Hélas ! cela présageait une prochaine séparation. Trois jours encore de cette heureuse vie errante, trois jours de marches, de chants et de rires.

Trois jours de confidences et de projets, et nous étions au lieu de rendez-vous, d’où nous devions par voie plus directe retourner chez nos parents.

Finie, mon année de pension, terminées les joyeuses parties en commun ; j’allais me retrouver seule avec mes chers parents et ma mignonne Elsa, bien heureuse certes, auprès d’eux, mais sans amie de mon âge.

Peut-être un jour, rouvrant mes cahiers, je vous conterai en détail comment, pendant les quelques années qui s’écoulèrent ensuite, je compris ma vocation irrésistible, dont j’avais eu l’intuition ce jour de la Saint-Jean :

Rendre aux autres ce que j’avais reçu moi-même, les inappréciables dons de l’instruction ; être à mon tour un heureux professeur après avoir été une heureuse élève.

Tout enfant, ayant quatre ans au plus, je professais déjà, ma bonne me l’a raconté depuis : ma chaire était une grosse pierre sur laquelle je me hissais non sans difficulté, mes élèves, les arbres de la forêt. Ce que je leur enseignais ? Vous m’en demandez trop. Ma bonne, à pareille question, me répondit : « Une vieille bête comme moi ne pouvait pas comprendre votre haute philosophie. »

Sous la direction de mon père, très savant, j’étudiais ; parfois je rêvais, étant souvent seule, et mes rêves ne me représentaient jamais qu’une salle d’études où, comme notre bien-aimée Mlle Mathilde, j’aurais distribué à tous l’instruction, les bons enseignements, où j’aurais appris aux enfants du peuple à être moins ignorants, c’est-à-dire meilleurs.

Même dans ma solitude, même choyée et gâtée comme je l’étais, je pus mener à bien mes désirs. J’eus des élèves : mon Elsa, puis une fillette de douze ans, la petite Toini, dont les parents étaient trop pauvres pour l’envoyer à l’école. J’hésitai longtemps avant d’oser prier mes parents de me permettre de m’occuper de Toini. Et pourtant mon père avait dit devant moi : « Toini est intelligente, c’est dommage de la laisser ainsi sans culture. » Enfin, j’osai parler, et presque aussitôt j’obtins l’autorisation demandée. Toini vint plusieurs fois par jour étudier avec moi. Le plaisir que j’y pris me prouva ma véritable voie, mais, en même temps, j’entrevis tout ce qu’il me manquait pour être un bon professeur. Mes parents, mis au courant de mes vœux, et voulant me garder auprès d’eux, firent venir de Suisse une jeune institutrice qui, parlant également le français et l’alle-