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COLETTE EN RHODESIA

restait que des morts et, çà et là, quelques fuyards éperdus.

Au milieu d’eux, un seul homme, leur chef sans nul doute, s’efforçant en vain d’arrêter la déroute. Il s’était jeté au-devant de ses cavaliers, essayant de les calmer de la voix et des gestes, appuyant même ses exhortations d’un coup de revolver, mais sans parvenir à se faire écouter.

On le vit alors descendre de cheval, se porter vers la petite vallée où l’infanterie avait cherché un abri et en ressortir avec une poignée d’hommes pour renouveler l’assaut par la trouée faite dans les fils barbelés.

Ici encore, son héroïque effort resta impuissant. De toutes les meurtrières du kopje, la mort jaillissait, s’abattait en grêle sur la petite troupe. Frappé l’un des premiers, il tomba parmi vingt autres. Ceux qui survivaient reculèrent. Et, bientôt, le découragement submergeant tous les cœurs, il n’y eut plus dans la plaine que des vaincus jetant leurs armes et leurs sacs pour hâter vers Boulouwayo une retraite sans dignité.

La batterie de l’ouest était abandonnée. Celle de l’est se tut et ramena ses pièces. Le silence se fit.

L’attaque de Johannskopje avait définitivement échoué.

Du côté des Anglais, les pertes étaient lourdes ; elles se chiffraient par des centaines de morts et de blessés. Par contre, du côté des Boers, pas un homme n’avait été atteint. Et cette circonstance même soulignait le calme singulier qui avait caractérisé la défense. Pas un instant la vie normale ne s’était arrêtée dans le village temporaire qui se nichait au fond du vallon, en arrière de la tranchée. Les ménagères procédaient à leurs occupations habituelles ; les enfants jouaient ; les hommes fumaient leur pipe, en allant de temps à autre, entre deux bouffées de tabac, jeter un coup d’œil à la meurtrière commise à leur garde et faire, à l’occasion, le coup de feu sur un adversaire choisi avec soin.

Il arrivait qu’une jeune fille, venue à la tranchée pour renouveler les munitions de son père ou de son frère, le remplaçait à l’embrasure et se servait du rifle, comme elle aurait donné la main à atteler les bœufs d’un chariot ou à pousser la roue dans une ornière.

Sur ces choses anormales et sur le grondement du canon, planait ainsi une atmosphère de paix et de tranquillité domestique.

Un moment, cette paix tourna à la fête. Sous la haute direction de Cadet, quelques jeunes garçons avaient fabriqué d’herbes et de chiffons un mannequin qu’ils habillèrent d’une veste usée, coiffèrent d’un vieux chapeau et armèrent d’une carabine. Ce fut, dès lors, un amusement de transporter ce simulacre de combattant à la tranchée et de le hisser au-dessus de la crête, bien en vue, tantôt sur un point, tantôt sur un autre. Aussitôt, les balles anglaises de pleuvoir sur la cible qui s’offrait. Le mannequin, frappé à mort, s’abattait au milieu des rires pour reparaître bientôt de l’autre côté du kopje et retrouver la mort qu’il défiait.

De tous les spectateurs qui suivaient avec un ardent intérêt les détails du combat, personne mieux que Gérard Massey n’était capable d’en dégager la philosophie. Récemment arrivé de France, où il avait accompli dans les Vosges ses trois ans de service militaire, il gardait l’âme d’un soldat, et le sentiment profond des responsabilités qui le rappelaient en Afrique australe avait seul pu l’empêcher de suivre la carrière militaire. Les armes à feu, leur construction, leur maniement et leurs effets avaient toujours été pour lui choses du plus vif intérêt. Et voici que les circonstances l’amenaient à voir de très haut — pour ainsi dire à vol d’oiseau — non pas en témoin indifférent, mais, au contraire, en témoin naturellement sympathique à l’une des races belligérantes, un vrai combat entre adversaires également braves, également résolus à vaincre.

Toutes les conclusions personnelles qu’il s’était faites sur la guerre moderne se trouvaient, sous ses yeux, soumises à l’épreuve expérimentale. Bien souvent, il s’était dit que la longue portée des armes adoptées de nos jours par les puissances civilisées devait