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JULES VERNE

Llanga, le foreloper, se laissèrent pour ainsi dire glisser, sans rencontrer d’obstacle. Après avoir passé sous le village aérien, ils se diri­ gèrent vers la rive du rio, l’atteignirent en quelques minutes, détachèrent un des canots et s’embarquèrent avec le père et l’enfant. Mais alors des torches s’allumèrent de toutes parts et de toutes parts accoururent un grand nombre de ces Wagddis qui erraient aux environs du village. Cris de colère, cris de menace, furent appuyés d’une nuée de flèches. « Allons, dit John Cort, il le faut ! » Max Huber et lui épaulèrent leurs cara­ bines, tandis que Khamis tenait des cartouches pour les recharger. Une double détonation retentit. Deux Wagddis furent atteints, et la foule hurlante recula. En ce moment, le canot, que Khamis avait écarté de la berge, fut saisi par le courant, et il disparut en aval sous le couvert d’une rangée de grands arbres.

11 n’v a point à rapporter — en détail du moins — ce que fut cette navigation vers le sud-ouest de la grande forêt. S’il existait d’autres villages aériens les deux amis ne devaient rien savoir à cet égard. Comme les munitions ne manquaient pas, la nourriture serait assurée par le produit de la chasse, et les diverses sortes d’antilopes abondaient dans ces régions voisines de l’Oubanghi. Le lendemain soir, Khamis amarra le canot à un arbre de la berge pour la nuit. Pendant ce parcours, John Cort et Max Huber n’avaient point épargné les témoi­ gnages de reconnaissance à Lo-Maï, pour lequel ils éprouvaient une sympathie tout humaine. Quant à Llanga et à l’enfant, c’était entre eux une véritable amitié fraternelle. Comment le jeune indigène aurait-il pu sentir les diffé­ rences anthropologiques qui le mettaient audessus de ce petit être ? John Cort et Max Huber espéraient bien obtenir de Lo-Maï qu’il les accompagnerait jusqu’à Libreville. Le retour serait facile en descendant ce rio, qui devait être un des

affluents de l’Oubanghi. L’essentiel était que son cours ne fut obstrué ni par des rapides ni par des chutes. C’était le soir du 16 avril que l’embarcation avait fait halte, après une navigation de vingt heures. Khamis estimait que de quatre-vingts à cent kilomètres venaient d’être parcourus depuis la veille. Il fut convenu que la nuit se passerait en cet endroit. Le campement organisé, le repas terminé, Lo-Maï veillant, les autres s’endor­ mirent d’un sommeil réparateur qui ne fut troublé en aucune façon. Au réveil, Khamis fit les préparatifs de dé­ part, et le canot n’eut plus qu’à se lancer dans le courant. En ce moment, Lo-Maï, qui tenait son en­ fant, attendait sur la berge. John Cort et Max Huber le rejoignirent et le pressèrent de les suivre. Lo-Maï, secouant la tête, montra d’une main le cours du rio, et de l’autre les épaisses profondeurs de la forêt. Les deux amis insistèrent, et leurs gestes suffisaient à les faire comprendre. Ils voulaient emmener le père et l’enfant avec eux à Libre­ ville... En même temps, Llanga accablait Li-Maï de ses caresses, l’embrassant, le serrant entre ses bras... Il cherchait à l’entraîner vers le canot... Li-Maï ne prononça qu’un mot : « Ngora ! » Oui... sa mère qui était restée au village, et près de laquelle son père et lui voulaient retourner... C’était la famille que rien ne pouvait séparer !... Les adieux définitifs furent faits, après que la nourriture de Lo-Maï et du petit eut été assurée pendant leur retour jusqu’à Ngala. John Cort et Max Huber ne cachèrent pas leur émotion à la pensée qu’ils ne reverraient jamais ces deux êtres affectueux et bons, si inférieure que fût leur race... Quant à Llanga, il ne put se retenir de pleurer, et de grosses larmes mouillèrent aussi les yeux du père et de l’enfant. « Eh bien, dit John Cort, croirez-vous