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ANDRÉ LAURIE

Une voiture d’ambulance arrivait, en effet, au trot rapide de ses chevaux, contournant le kopje, et le docteur en descendait le premier.

« Docteur ! docteur !… C’est le ciel qui vous envoie !… Oh ! venez, venez vite !… Mon frère blessé près d’ici… blessé au bras droit !… Et cette petite qui l’a pansé !… Quel ange, n’est-ce pas ?… Mais qui sait si la chose est bien faite ?… Allons vite, cher docteur, allons vite !…

— Laissez-moi le temps de prendre deux brancardiers, dit le bon docteur, qui jamais ne s’étonnait ni ne faisait de questions inutiles. Mais d’ailleurs ne craignez point : Mlle Lucinde est aussi parfaite infirmière — il allait dire : que tirailleuse habile ; le même sentiment qui tout à l’heure avait fait frémir Nicole arrêta le mot sur ses lèvres, et, avec la dextérité qui lui était coutumière, il lui substitua : que moi-même. »

En un instant, il eut fait apprêter une civière, commandé deux hommes.

« Voici Gérard Massey qui va nous prêter son concours comme brancardier, lady Theodora. C’est un ami de plus, soyez réconfortée.

— Gérard !… » Et un nouveau torrent de larmes inonda le beau visage troublé. « Ah ! je veux croire que cette rencontre est de bon augure… »

Sous la conduite de Lucinde, on arrivait bientôt auprès du talus où reposait le blessé, et dans l’homme pâle, exsangue, qui gît sur l’herbe, à demi évanoui, tous reconnaissent, en effet, lord Fairfield. Tandis que sa sœur se jette à genoux près de lui, qu’elle prend sa main gauche et cherche à la réchauffer en l’appelant de mille noms affectueux, le docteur fait pénétrer quelques gouttes d’un tonique généreux dans la gorge du blessé. Celui-ci ouvre les yeux, regarde autour de lui et la parole revient à ses lèvres :

« Ah !… c’est vous, docteur… grand merci… Ma sœur !… Ne pleurez pas, Théodora, tout n’est pas fini… Bonjour, Gérard… vous me voyez assez mal en point… Ah ! je reconnais ma petite infirmière… combien y a-t-il de temps, mademoiselle, que vous m’avez donné à boire ?… ou ai-je rêvé ?… »

De nouveau, une pâleur mortelle envahit son front, et il parut prêt à retomber en syncope.

« Il y a autre chose que le bras fracturé, murmura le docteur qui, d’une main légère, n’avait cessé de chercher la cause d’un état qu’il ne pouvait attribuer à cette simple blessure. Quelque chose de ce côté, hein ?… palpant le torse du blessé.

— Oui, dit celui-ci faiblement. J’ai comme un feu dans la poitrine et comme une morsure dans le dos…

— Je vois, je vois… dit M. Lhomond qui l’avait adroitement examiné… Ces projectiles du mauser ont ceci de bon qu’ils passent partout sans laisser de lésions graves… Allons, prêtez-moi main-forte, Gérard… Mettez la main là, sous l’omoplate. Prenez garde de froisser la partie blessée… Nous y sommes ?… Un, deux, trois !… »

Avec une force que décuple la sûreté scientifique de leurs mouvements, le chirurgien et son aide enlèvent le blessé, le placent sur la civière. Rapidement il est transporté jusqu’à la voiture où déjà une dizaine de soldats anglais sont alignés sur des matelas, et, quand la douzaine est complète, la voiture reprend au pas le chemin du kopje.

Lady Théodora accompagne son frère ; Nicole et Lucinde restent sur le champ de bataille, car il y a encore bien des misères à soulager ; une fois les vivants relevés et secourus, il restera d’ailleurs de lugubres devoirs à rendre aux morts.

Ce travail a déjà marché bon train. De toutes parts, les hommes, les femmes, les enfants sont accourus, et tous s’occupent à leur dure tâche avec le flegme extérieur qui est le trait caractéristique de la race et qui, la plupart du temps, sert de voile aux plus hautes qualités du cœur. Aucun homme ne montre de trouble ni d’émotion devant le triste spectacle de ces jeunes vies fauchées avant le temps ; aucune femme ne menace de s’évanouir devant les plaies béantes ou les cris des blessés ; les petits eux-mêmes vont